"La fête organisée implique une maîtrise nouvelle de l'espace urbain: elle n'est pas dans un lieu unique, mais de déroule souvent dans plusieurs "stations". Les cortèges accompagnés de musique et d'hymnes cheminent ainsi à travers toute la ville". On insiste sur le caractère didactique des fêtes: "C'est en instruisant l'homme que vous le renouvellerez pour ainsi dire d'une manière absolue et complète; c'est en épurant sa raison et ses moeurs, c'est en lui faisant connaître l'influence et les dangers de ses passions et en lui enseignant à les diriger vers le bien, que vous le ramènerez à la simplicité primitive dont la nature l'avait doté et qu'il n'a perdue que par l'ignorance ou par l'abus du faux savoir" (discours que tient un député en l'an II, Boissy d'Anglas, dans son "Essai sur les fêtes nationales).
La première de ces fêtes a eu lieu en 1791. Il s'agit de la Fête de la Fédération que Mona Ozouf considère être la plus importante de la Révolution. A cette époque, l'idée fut lancée d'une "fête nationale neuve pour une révolution qui n'a point d'exemple".
En règle générale, ces fêtes sont instituées dans un but de commémoration d'événements importants, soit de fêtes de substitution aux fêtes catholiques, comme le culte de la Raison ou celui de l'Etre Suprême organisé par Robespierre: "Dans la dure période de 1793-1794, pour lutter contre l'athéisme montant, générateur de désordres, Robespierre, dans un discours fameux à la Convention, le 7 mai 1794, prône "un système de fêtes qui serait à la fois le plus doux lien de fraternité et le plus puissant moyen de régénération". "Ayez, ajoute-t-il, des fêtes générales et plus solennelles pour toute la République; ayez des fêtes particulières qui soient des jours de repos et qui remplcent ce que les circonstances ont détruit".
Mona Ozouf parle aussi dans son ouvrage de la fête révolutionnaire comme transfert de la sacralité. Selon elle, la vie religieuse est longue à s'éteindre. Non seulement, la foule se presse plus que jamais dans les églises, mais encore on a tendance à associer la cérémonie religieuse avec la fête révolutionnaire. En d'autres mots, on a "horreur du vide". Pour le combler, on fait appel à des images issues de l'Antiquité, mais les termes de "fête, loi, origine" appellent "une sûreté d'association qui est l'indice d'une sacralisation". En parlant de la la fête révolutionnaire à caractère maçonnique, l'auteur dit que "ce qui frappe dans ces fêtes, bien plus encore que les emblèmes, c'est la religion raisonnable des loges, l'évidente dialectique du Temple-édifice au Temple-Univers, la sacralisation d'une vie désertée par le sacré autour d'une figure artisane de l'homme créateur". Donc, en fuyant une sorte de sacralisation, l'homme révolutionnaire en adopte une autre qui lui est, somme toute, semblable. Comme conclusion à ce chapitre et à cet ouvrage, les mots de Mona Ozouf sont révélateurs de cet échec des fêtes révolutionnaires qu'elle a essayé de décrire le plus objectivement possible: "Du reste, si elle est révolutionnaire aux yeux des hommes de la Révolution, c'est qu'elle semble mieux que toute autre réconcilier le rationnel et le sensible, le temps et l'éternité, le sauvage et le civilisé. La fête annonce cet homme unifié dont Diderot déclare avoir parcouru sans le trouver l'histoire des siècles et des nations"..."Et, dira-t-on, elle échoue à la créer". Cependant, l'auteur conclut sur une note optimiste, à savoir qu'après tout c'est grâce à la fête révolutionnaire que des valeurs telles que les droits, la liberté et la patrie "ont été nouées ensemble à l'aube du monde moderne, laïque et libéral", que "le transfert sacral sur les valeurs politiques et sociales est chose faite, définissant une nouvelle légitimité et un patrimoine désormais intouchable, où coexistent le culte de l'humanité et la religion du lien social" et qu'en fin de comptes il faut avouer que "la fête révolutionnaire est exactement ce qu'elle voulait être: un commencement des temps".
C'est David, chef de file des artistes révolutionnaires, qui sera le metteur en scène de ces fêtes jusqu'à la chute de Robespierre. Le 10 août 1793, il organise la fête de l'Unité et de l'Indivisibilité de la République française. Le 8 juin 1794, est instituée la fête de l'Etre suprême. Après Thermidor, de nombreuses fêtes politiques sont encore instituées, à Paris, mais aussi à Lyon. Les 27 et 28 juillet 1796 a lieu la fête de la Liberté: "Donnée sur le Champ-de-Mars, elle commémore à la fois le 14 Juillet, le 10 Août et le 9 Thermidor". En 1798, la fête de la Liberté voit l'entrée triomphale de "objets des sciences et des arts" pris en Italie. Enfin, le 22 septembre de la même année, a lieu la fête de la Fondation de la République qui "revêt un caractère symbolique tout à fait nouveau: outre les courses de char et les joutes sur l'eau, le Champ-de-Mars accueille l'exposition des produits de l'industrie nationale".
Mona Ozouf a une façon très particulière et très personnelle de décrire ces fêtes révolutionnaires. Dans le chapitre VII de son ouvrage sur les fêtes révolutionnaires, elle s'attache à parler du rapport entre la fête et le temps et elle résume la fête en 4 verbes: Commencer/ Distribuer/ Commémorer/ Finir. "Commencer l'ère républicaine par une fête, ancrer ainsi le nouveau temps de façon indiscutable et montrer que l'histoire dérive d'un acte fondateur, telle est la première exigence qui se présente aux législateurs". Distribuer: "Le calendrier et la création de fêtes ne peuvent se séparer: pas de calendrier qui ne soit calendrier de fêtes". Mais: "La série de fêtes, telle que la présente le calendrier traditionnel est un pur chaos: cette constatation n'a pas germé avec la Révolution, tout le siècle l'a plaintivement formulée". "Commémorer, c'est d'abord arracher à l'ignorance". "Tous les faiseurs de calendriers et de fêtes s'accordent sur la necessité de soutenir par la fête le souvenir de la Révolution". Il y a trois commémorations indiscutables: le 1er vendémiaire, le 14 juillet et le 10 août. A côté de celles-ci, il y a une succession interminable de fêtes plus ou moins ratées qui amènent la volonté d'en finir avec elles: "Finir est donc à la fois l'ambition de la fête révolutionnaire et son évident échec. De tous, le rituel de terminaison s'est révélé le plus difficile à inventer". "La fête finie, les hommes doivent s'en retourner chez eux plus éclairés et plus heureux". Cette phrase lie le chapitre VIII au précédent. "Autant dire que la fête n'en finit pas: non tant parce qu'on l'attend ou parce qu'on s'en souvient; mais par la discipline qu'elle instaure, les habitudes morales qu'elle fait contracter" [...] "Dans l'esprit des organisateurs, il en résulte une égalisation et comme un applatissement du temps". Cette difficulté d'en finir une fois pour toutes avec les fêtes vient du fait qu'elles sont considérées comme éducatives, prenant part à l'instruction de chaque individu. On parle des fêtes comme d'une "formation permanente", des écoles qui sont à la fois "un musée, le rendez-vous des familles, une salle de spectacle, un cirque et un marché". En un mot, les fêtes sont devenues une véritable institution à part dont on a logiquement de la peine à se détacher. Et le constat est lourd: "Ces fêtes-écoles s'adressent à des adultes-enfants, sans passé dirait-on, sans mémoire, sans habitudes. Rares sont ceux qui comprennent qu'il s'agit moins d'instituer le peuple que de substituer pour lui une éducation à une autre"..."Là, les hommes ont déjà des fêtes; là, la fête révolutionnaire rencontre, à la surprise de ses organisateurs, l'éxubérance tenace des usages" . Par conséquent, Mona Ozouf en conclut que les hommes des Lumières n'ont rien appris d'autre, dans leurs fêtes révolutionnaires, que ce qu'ils savaient déjà!
Pour terminer ce chapitre sur les fêtes, laissons la parole à François de Neufchâteau qui, lors d'un discours aux administrations centrales des départements, exprime son avis en ces termes: "Bien différentes des vaines cérémonies de la superstition, qui n'offraient qu'un frivole spectacle à la raison outragée par la crédulité, les fêtes républicaines portent en elles un caractère religieux, une philosophie de sentiment, une éloquence morale, qui parlent à tous les coeurs; chacun peut se rendre compte des idées consolantes qu'elles inspirent à son âme".