La création de faux souvenirs
Malgré les avantages que notre système de mémoire peut présenter, il existe en contrepartie plusieurs processus qui peuvent amener à la création de faux souvenirs. En effets, certains souvenirs sont sensibles aux raisonnements que l'on fait tels que les inférences, à nos connaissances, mais également à travers diverses tendances personnelles ou encore selon des principes de suggestion. Ces effets montrent notamment que les souvenirs répondent à un fonctionnement complexe.
raisonnements connaissances tendances suggestionLe raisonnement est parfois source d'erreurs dans nos souvenirs
Le raisonnement est un "processus cognitif" qui permet d'obtenir de nouveaux résultats ou bien de vérifier la réalité d'un fait. Il fait appel soit à différentes « lois », soit à des expériences, quel que soit leur domaine d'application : mathématique, système judiciaire, physique, pédagogie, etc. On dit que l’individu effectue des inférences et que le mécanisme d’élaboration de ces inférences s’appelle raisonnement. Le raisonnement déductif (comme une inférence) détermine que la conclusion est aussi certaine que les prémisses, ce qui peut amener à des erreurs de mémoire.
Par exemple, avec ces deux phrases qui semblent à priori très ressemblantes:
(a) Vincent essayait de réparer la volière. Il enfonçait un clou quand son père est venu pour le regarder faire le travail.
(b) Vincent essayait de réparer la volière. Il cherchait le clou quand son père est venu pour le regarder faire le travail.
Selon les résultats de l'étude de (Johnson et al., 1973) présentés ci-contre, il existe une différence de probabilité que les personnes qui ont lu la phrase (a) ou (b) croient avoir vu le mot marteau. Cette différence dépend de la phrase qui précise ou non l'action associée à l'objet suggéré.
Connaissances et schémas
Un schéma est une structure générale de connaissance (par exemple à propos d'un objet ou d'un événement) acquise au cours d'expériences passées. En d'autres termes, il s'agit de connaissances de ce qui est impliqué dans une expérience particulière.
Par exemple, lors d'une étude, on a demandé à des personnes d'attendre dans un bureau, puis à leur sortie, de décrire ce bureau. Selon les résultats présentés ci-contre, il existe une probabilité relativement élevée de citer un objet typique de ce type de lieu, bien qu'aucun ne s'y trouvait.
Ceci est expliqué par le fait que certains objets appartiennent au schéma "bureau" (adapté de Brewer & Treyens, 1981). Ainsi, il existe une inférence entre un lieu et la présence d'un objet. Ce phénomène lié à la manière dont sont organisées nos connaissances peut mener à des erreurs telles qu'une mauvaise interprétation de l'origine d'un souvenir.
Les scripts
Un script est un type de schéma. Il concerne en particulier une séquence d'actions qui constitue une expérience particulière. Ainsi, lors du rappel d'activités routinières qui nécessitent l'accomplissement d'une série d'actions, les personnes sont susceptibles de changer la succession d'étapes qui s'est déroulée pour que l'événement corresponde au plus près de ce qu'ils ont l'habitude de vivre.
Par exemple, voici comment la dernère soirée de Daniel s'est passée au restaurant, il y a quelques semaines:
Daniel est allé au restaurant en voiture. Il a eu du mal à trouver une place de parking proche du restaurant, et est finalement arrivé avec 15 minutes de retard. Il a bien mangé puis pris un café. Il a payé l'addition et est reparti."
Toutefois, selon l'exemple présenté ci-contre, lorsque des personnes racontent le déroulement d'une soirée au restaurant, elles sont susceptibles de se tromper en ajoutant une étape qui n'a pas eu lieu, mais qui est typique d'un script "aller au restaurant". (adapté de Bower et al., 1979).
Toutefois, selon l'exemple présenté ci-contre, lorsque des personnes racontent le déroulement d'une soirée au restaurant, elles sont susceptibles de se tromper en ajoutant une étape qui n'a pas eu lieu, mais qui est typique d'un script "aller au restaurant". (adapté de Bower et al., 1979).
La tendance égocentrique
Il existe plusieurs tendances personnelles qui peuvent modifier les souvenirs telles que la tendance égocentrique qui est définie par l'inclination qu'ont les personnes à se voir sous un jour aussi favorable que possible.
Si l'on dit à un premier groupe de personnes (a) que les gens extravertis ont plus de succès dans un domaine valorisant et à un deuxième groupe (b) que ce sont les gens introvertis qui ont plus de succès dans ce domaine, et qu'ensuite l'on demande aux deux groupes de lister des comportements passés, les deux groupes ne listeront pas les mêmes types de comportements.
Ainsi, les personnes cherchent dans leur mémoire autobiographique comment se représenter sous un jour favorable (adapté de Sanitioso et al., 1990).
La tendance de cohérence
La tendance de cohérence décrit comment les personnes sont enclines à percevoir les attitudes et les comportements fondamentaux comme restant cohérent.
Par exemple, si l'on questionne les personnes sur des sujets relatifs à leurs attitudes concernant l'égalité hommes/femmes, les mesures de discrimination positives ou la légalisation de la marihuana, on sait que de manière générale, les attitudes sont devenues plus libérales entre 1973 et 1982. Si l'on questionne les personnes en 1973 puis en 1982 sur leurs attitudes relatives à ces sujets, on voit une corrélation en dessous de 0.5 concernant les réponses de ces deux périodes. Toutefois, la mesure des attitudes semble montrer d'autres résultats entre ces deux dates, si l'on compare le souvenir des attitudes en 1973 et les réponses données en 1982.
Les personnes ont tendance à croire que leur avis est le même qu'à l'époque, c'est-à-dire qu'ils ont tendance à rester cohérents dans leurs opinions, dans le temps.
La tendance du changement positif
Cette tendance décrit comment les personnes montrent une disposition à croire que les choses changent de manière positive.
Par exemple, on demande à des couples d'évaluer leur amour (Q1) et 4 ans plus tard, on propose à ces couples le même questionnaire (Q2), ainsi qu'un questionnaire évaluant le changement entre ces deux périodes (Q3). Les couples diront qu'il y a un changement positif (Q3), alors que les résultats des deux premiers questionnaires ne reflètent pas ces changements.
Bien que les personnes pensent que les choses s'améliorent, l'évolution réelle de la situation entre deux moments n'est pas si optimiste (Sprecher, 1999).
La suggestion
La mémoire peut être modifiée par la suggestion, et c'est ce qui peut être problématique dans les cas de témoignages oculaires. Il existe un effet de mésinformation, c'est-à-dire que le compte rendu d'un fait contient des erreurs commises par un témoin oculaire qui, entre-temps, a reçu une information erronée (Information Erronée Après-Coup, aussi appelée IEAC) (Loftus & Palmer, 1974).
Par exemple, des personnes assistent à un accident de voiture, durant lequel l'une des voitures a raté un panneau de signalisation. Un groupe de personnes reçoit des informations correctes sur l'accident et un autre groupe reçoit des IEAC disant que la voiture a raté un panneau indiquant un sens interdit (erreur). Les résultats présentés ci-contre montrent que le panneau qui est décrit par le témoin n'est pas la même, si le témoin reçoit des IEAC ou non.
Les IEAC peuvent ainsi modifier ce que les personnes se rappellent et les conclusions de la situation.
En fait, les souvenirs de l'événement ne sont pas vraiment précis, et les personnes utiliseraient les IEAC pour combler les vides. Nous reconstruisons ainsi l'événement d'après les informations extérieures. C'est aussi le cas pour des événements précoces de la vie, où il est possible de suggérer un souvenir faux, mais crédible. Dans ce cas, 20% des personnes croient que l'événement a bien eu lieu et décrivent même cet événement fictif (Hyman et al., 1995).