Où l'on voit chez François de Neufchâteau une ferme volonté de rapprocher le Salon de l'Exposition industrielle, de mettre ces deux manifestations sur un plan d'égalité.
Le terme "salon" désigne la plus importante exposition d'art français, organisée dès le XVIIIème siècle, d'une périodicité variable, sous les auspices de l'Académie. Dès 1667, l'Académie Royale avait organisé une première exposition, ouverte à ses seuls membres. L'expérience fut renouvelée de manière intermittente dans la grande galerie du Louvre, puis devint annuelle et se tint au salon Carré. Elle fut placée sous contrôle des professeurs de l'Ecole des Beaux-Arts, qui constituaient un jury pour décider de l'admission des artistes.
Jusqu'à la Révolution, le Salon se voulait être le grand rassemblement des artistes agréés par l'Académie royale, ceux qui avaient été recompensés par des prix prestigieux, tels que le Prix de Rome. Le Salon était donc par définition un lieu d'exposition réservé à une certaine catégorie d'artistes, l'élite caractérisée par les Primés. Or voilà qu'en 1798, un ministre, François de Neufchâteau, veut proposer une nouvelle formule de Salon, plus égalitaire, plus démocratique, ouverte à tous: "Auparavant cette exposition n'était ouverte qu'aux travaux de quelques artistes éminents, dont le mérite hors de pair était consacré par leur titre d'académicien et qui consentaient à montrer des statues, des tableaux, des gravures commandés à l'avance pour une destination spéciale" (...), alors qu'à partir de 1793, la Révolution aidant, tous les artistes eurent accès au concours et "furent admis à tenter la fortune, (si bien que) cette modification eut l'avantage de stimuler et de mettre en relief des talents méconnus". Ce nouveau Salon comporte deux autres nouveautés instaurées par François de Neufchâteau: tout d'abord, un jury d'admission "qui choisira parmi les ouvrages envoyés ceux qui lui paraissent dignes d'être exposés" est institué. Sont exemptés de cette contrainte "les ouvrages des artistes qui ont remporté des prix dans les ci-devant Académies ou dans les Ecoles Nationales qui remplacent ces établissements". Udolpho Van de Sandt nous explique "qu'il semble bien que l'effet obtenu ait été largement psychologique, décourageant certains artistes médiocres d'exposer - le jury n'élimina pas un nombre considérable d'ouvrages - et encourageant les bons artistes à le faire, d'autant qu'il fut annoncé que les meilleurs seraient primés. L'autre innovation c'est la supression, suite à l'échec du Salon de 1796, de la tenue annuelle des Salons (il n'y en aura pas en 1797). Cependant, dès l'année suivante, Neufchâteau aura la malencontreuse idée de revenir sur sa décision: 1799 verra le rétablissement à la fois du jury et du ryrhme annuel de l'exposition.
A l'époque, l'échec ou la réussite d'un Salon se lisait en termes de ventes des livrets (= catalogues du Salon). Le Salon de 1798 a été un véritable succès, si l'on se réfère aux statistiques des ventes des livrets qui nous fournissent un excellent indicateur de la fréquentation: 12'304 livrets vendus contre 6'846 en 1796. Ce qui fait dire à Udolpho van De Sandt: "Toujours est-il que le Salon de 1798 est sans conteste le plus intéressant de la période et que sa fréquentation marque immédiatement un net progrès: le nombre de livrets vendus double par rapport au Salon précédent. Le ministre "conformément à la demande de plusieurs artistes, et d'après les observations de l'administration, autorise [le conservatoire] à prolonger l'exposition du Salon jusqu'au 15 vendémiaire (6 octobre), et à fermer les 28 et 29 fructidor pour placer les tableaux d'histoire plus bas qu'ils ne le sont actuellement". Et le conservatoire de noter dans ses registres, lorsque le Salon ouvre à nouveau après cette brève fermeture, qu'il y eut foule pendant les six jours complémentaires et le 1er vendémiaire, fête de la fondation de la République".
Mais ce qui est intéressant dans la démarche et dans la pensée de Neufchâteau, c'est que ce renouveau des Salons devait aller de pair avec la création d'une "exposition publique annuelle des produits de l'industrie française" calquée sur ce modèle. Dans cette optique d'assimilation des deux événements, le Salon et l'exposition industrielle auront lieu en même temps, pendant les six jours complémentaires et le 1er vendémiaire, fête de la fondation de la République. Désormais, l'Industrie aurait sa place aux côtés de l'Art et serait également stimulée et mise en valeur par des concours. La notion d'art en tant que production sera dès lors de rigueur lors des prochaines expositions: Neufchâteau a en effet suggéré que les classes dans lesquelles sont répartis les produits et les stands s'organisent autour des productions industrielles, agricoles et artistiques. (Remarque: le terme "produits de l'industrie" doit être compris dans son sens le plus large. A l'époque, il se référait aussi bien aux sciences pures ou aux sciences appliquées, qu'aux techniques industrielles ou agricoles: c'est l'industrie qui dominait et non la science. Il faut attendre l'exposition universelle de 1900, pour que les sciences se démarquent enfin de l'industrie).
Pour ne pas faire de discrimination entre les arts utiles et les beaux-arts, les Autorités vont procéder en même temps à la distribution des prix du concours du Salon et de ceux de l'Exposition industrielle. C'est donc au cours des festivités, que la cérémonie de remise des récompenses aura lieu: "Le ministre de l'intérieur annoncera ensuite que le Président du Directoire va proclamer les noms des citoyens qui, par des actions héroïques, par des découvertes utiles, ou par des succès dans les beaux-arts, ont bien mérité de la patrie. [...] Le ministre de l'ntérieur remettra encore la liste de ceux qui ont obtenu des brevets d'invention, et celle des manufactures dont les produits auront été distingués dans l'exposition des jours complémentaires. [...] La classe de littérature et des beaux-arts aura également désigné, et le président de l'Institut remettra aussi au Directoire les noms de ceux qui, dans les écoles de peinture, sculpture et architecture, ont obtenu les grands prix, et une notice des meilleurs tableaux, statues, dessins et estampes exposés dans le Salon du Musée".
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