Collaboration dans un environnement virtuel 3D : influence de la distance à l'objet référencé et du 'view awareness' sur la résolution d'une tâche de 'grounding'


6. Résultats

" No doubt about it, Ellington - we've mathematically expressed the purpose of the universe. God, how I love the thrill of scientific discovery. "
Gary Larson

Nous avons utilisé le logiciel de traitement statistique SPSS pour les analyses qui suivent.

6.1 Résultat en rapport avec l'hypothèse 1

La première hypothèse postule que la proximité clarifie le contexte de référenciation. Comme nous l'avons vu, l'opérationnalisation de la première hypothèse implique une relation de dépendance, allant dans le même sens, entre deux variables quantitatives : la distance de l'émetteur à l'objet et le nombre d'objets différents consultés avant réponse. Nous avons donc effectué un calcul de corrélation pour mettre en évidence cette relation.

Afin de respecter la relation postulée par l'hypothèse, la corrélation doit être positive ; un accroissement de la distance doit entraîner un accroissement du nombre d'objets différents consultés avant réponse. Le tableau 3 montre les corrélations entre les deux variables.

N=197Nombre d'objets différents consultés avant réponse
Distance de l'émetteur au moment de l'émission.206**
Distance de l'émetteur au moment de la réponse.087
Distance moyenne de l'émetteur.167**
Distance parcourue par l'émetteur.223**
**Correlation is significant at the 0.01 level (1-tailed).

Tableau 3
Corrélations bivariées de Pearson

La lecture des corrélations du tableau 3 nous apprend qu'il existe effectivement une corrélation positive entre les variables de distance et le nombre d'objets différents consultés avant réponse. De plus, les corrélations les plus fortes sont aussi hautement significatives (p<0.01). Bien que les corrélations soient relativement faibles, elles vont dans le sens de l'hypothèse. La proximité clarifie donc effectivement le contexte de référenciation.

6.1.1 Interprétation de la variation des corrélations parmi les variables de distances

Les quatre variables de distance ne sont pas corrélées avec la même force au nombre d'objets différents consultés avant réponse (cf. tableau 3). Bien que toutes les corrélations soient faibles, nous allons tout de même les prendre une à une et tenter une interprétation de leur corrélation.

Distance de l'émetteur au moment de l'émission (r=.206 p<0.01)
Cette variable est relativement fortement corrélée avec le nombre d'objets consultés avant réponse. Cette distance est liée à un moment bien particulier de l'interaction. Il s'agit de l'instant précis où l'émetteur actionne le bouton de l'interface de communication pour proposer un objet à son partenaire. Ce dernier devrait alors commencer à localiser l'émetteur (dans le but de trouver l'objet référencé) peu de temps après. Donc par la force des choses, à moins que l'émetteur ne décide de se déplacer immédiatement après l'émission il se trouve encore au même endroit lorsque le récepteur le localise. Cet endroit est lui aussi particulier. Nous l'avons vu la proximité est liée à l'activité (cf. 4.3.1 Propriétés collaboratives de l'espace et de l'espace virtuel). Il est difficile de consulter un objet s'il est trop distant, et le récepteur le sait bien. Donc pour le récepteur, l'objet le plus proche de l'émetteur à ce moment là est très probablement l'objet référencé.

Distance de l'émetteur au moment de la réponse (r=.087 p>0.05)
Cette variable est la plus faiblement corrélée avec le nombre d'objets consultés avant réponse. De plus, la corrélation est non-significative. Cette variable correspond à la distance de l'émetteur au moment où le récepteur confirme ou infirme le choix. Donc à priori, à ce moment précis le récepteur a déjà décidé à quel objet l'émetteur fait référence, et cela en se basant sur des indices antérieurs.

Distance moyenne de l'émetteur (r=.167 p<0.01)
Bien que la corrélation soit significative elle n'en est pas moins assez faible. Cette variable représente la distance moyenne de l'émetteur à l'objet référencé. L'émetteur peut, pour des raisons qui lui sont propres, avoir été plus proche de l'objet référencé, ou plus éloigné de l'objet, que la moyenne indique. Si à un moment donné il s'est rapproché de l'objet, cela peut avoir aidé le récepteur, à identifier l'objet référencé (i.e. clarification du contexte de référenciation). Mais si l'émetteur s'est éloigné de l'objet référencé, il se peut qu'il se soit rapproché d'un autre objet par la même occasion, ne facilitant pas la tâche du récepteur.

Distance parcourue par l'émetteur (r=.223 p<0.01)
Cette variable est la plus fortement corrélée avec le nombre d'objets différents consultés avant réponse. Elle représente la longueur du trajet parcouru par l'émetteur et n'est donc pas directement une mesure de proximité. La corrélation positive signifie donc que plus l'émetteur s'est déplacé, plus le récepteur a consulté d'objets différents avant de donner sa réponse. Cette variable ne traduit en rien un rapprochement ou un éloignement de l'objet. Dans ce cas, un déplacement implique uniquement un mouvement ou un changement d'endroit.
L'émetteur peut décider de changer d'endroit pour diverses raisons. Nous en retiendrons une : le souci de clarification. Il se peut que l'émetteur remarque (ou pense) que le récepteur hésite, peut-être parce que sa distance à l'objet est trop grande. L'émetteur pourrait donc décider de se rapprocher de l'objet (i.e. se déplacer, changer d'endroit). La distance de l'émetteur à l'objet référencé au moment de l'émission devrait dans ce cas être corrélé avec la distance parcourue par l'émetteur. En d'autre terme, plus l'émetteur est loin de l'objet référencé à l'émission, plus il se déplace pour se rapprocher de l'objet. Nous avons effectué une corrélation de Pearson pour tester cette hypothèse post-hoc. Le résultat obtenu (r=.474 p<0.01) nous permet effectivement de dire que la distance parcourue par l'émetteur est donc bien corrélée avec la distance de l'émetteur à l'objet au moment de l'émission. Donc, les corrélations du tableau 3, peuvent être réinterprétées de la manière suivante : plus l'émetteur est loin de l'objet référencé, plus le récepteur hésite, et plus l'émetteur parcourt de distance (i.e. se rapproche de l'objet) pour clarifier le contexte de référenciation. Face à des signes d'incompréhension du récepteur, l'émetteur tente de clarifier la référenciation.

6.1.2 Faiblesse des corrélations et tâche expérimentale alternative

Bien que généralement significatives, les corrélations entre les variables de distances avec le nombre d'objets différents consultés avant réponse n'en restent pas moins faibles. Nous pensons que cette faiblesse résulte de l'absence de prise en compte d'un comportement du récepteur. Au moment de la conception de la tâche expérimentale nous avions considéré que dans le but de réduire l'ambiguïté liée à l'identité de l'objet référencé (cf. 5.4.2.2 La variable de réduction de l'ambiguïté), le récepteur devait consulter (i.e. manipuler à l'aide de la souris) les objets susceptibles d'être référencés par l'émetteur.

Mais l'observation des sujets pendant l'expérience nous a appris qu'il suffisait parfois au récepteur de regarder un objet, sans le manipuler, pour l'exclure. En effet, certains objets ont une apparence qui les rend suffisamment distinct de certains autres objets, ce qui lève d'emblée l'ambiguïté. Malheureusement, le fait de regarder un objet sans le manipuler à l'aide de la souris ne peut pas être quantifié par le système; cette information est donc perdue.

Si la tâche expérimentale avait été construite de manière que les sujets ne voient les objets que s'ils effectuent une action quantifiable par le système, il aurait été possible de neutraliser ce comportement. Par exemple, il est envisageable de cacher chacun des objets dans une boite virtuelle opaque qui devient transparente lorsqu'on passe le curseur dessus, révélant ainsi l'objet occulté. Ce 'comportement' du récepteur peut dès lors être quantifier, et la mesure effectuée reflèterait de manière plus précise le comportement de réduction de l'ambiguïté.

6.2 Résultat en rapport avec l'hypothèse 2

Notre deuxième hypothèse postule un effet du 'view awareness' sur la clarification du contexte de référenciation. Il s'agit donc de démontrer l'influence de la présence ou l'absence de 'view awareness' sur la collaboration. L'hypothèse opérationnelle postule une influence positive du 'view awareness' sur le nombre d'objets consultés avant réponse. Comme pour la première hypothèse nous utilisons le nombre d'objets consultés avant réponse comme indice révélateur de l'effet de clarification du 'view awareness'. Une variable catégorielle et une variable quantitative sont en jeu. Nous avons donc procédé à une analyse de variance (ANOVA). Pour que notre hypothèse soit confirmée, il faut d'une part que la différence entre groupes (avec et sans 'view awareness') soit significative, et d'autre part que le nombre d'objets consultés soit plus bas dans le groupe avec 'view awareness'.



NMeanStd. DeviationMinMax
Nombre d'objets différents
consultés avant réponse
sans 'view awareness'931.02.7703
avec 'view awareness'1041.02.7004
Total1971.02.7304

Tableau 4
Statistiques descriptives

Du tableau 4 nous pouvons tirer que la moyenne pour la variable 'nombre d'objets différents consultés avant réponse' est identique dans les situations avec ou sans 'view awareness'.



Sum of SquaresdfMean SquareFSig.
Nombre d'objets différents
consultés avant réponse
Between Groups0.00025410.000254.000.983
Within Groups103.919195.533
Total103.919196


Tableau 5
ANOVA

Le test ANOVA (cf. tableau 5) n'est pas significatif (p=.983), donc nous devons rejeter cette deuxième hypothèse. Dans cette situation le 'view awareness' n'a donc aucun effet sur le nombre d'objets différents consultés avant réponse.

6.2.1 Interprétation de l'absence d'influence du 'view awareness'

Afin de mieux comprendre le résultat précédent, nous allons nous intéresser à l'influence de l'ordre de passation des conditions. En effet, la moitié des paires a commencé l'expérience avec le 'view awareness' (ordre de passation = avec-sans) alors que l'autre moitié a commencé sans 'view awareness' (ordre de passation = sans-avec). Les sujets ont donc effectué l'expérience avec deux interfaces différentes. En fonction de l'ordre de passation des conditions, la première interface utilisée comportait ou ne comportait pas le 'view awareness', idem pour le deuxième interface. Le graphique 1 représente pour les deux ordres de passations, en ordonnée les valeurs moyennes du nombre d'objets différents consultés avant réponse, et en abscisse l'interface utilisée.

Il est intéressant de constater que pour le premier interface le nombre d'objet consultés est relativement plus bas lorsque les sujets disposent du 'view awareness'. Un test ANOVA effectué sur les cinq premières séquences uniquement, met en évidence un effet tendanciel du 'view awareness' sur le nombre d'objets consultés (F(1,97)=3.652, p=.059).

Par ailleurs, lorsque le 'view awareness' est supprimé dans le deuxième interface, i.e. pour l'ordre de passation 'avec-sans', le nombre d'objets consultés augmente légèrement, ce qui est à priori en accord avec la deuxième hypothèse, la suppression du 'view awareness' rendant la clarification du contexte de référenciation plus difficile. Plus surprenant est de constater que le 'view awareness' ajouté dans la deuxième interface, i.e. pour l'ordre de passation 'sans-avec', entraîne aussi une légère augmentation du nombre d'objets consultés, alors qu'à priori l'ajout du 'view awareness' devrait entraîner une diminution du nombre d'objet consulté. Ces effets sont malheureusement non-significatifs, et il n'est donc pas possible de tirer des conclusions à partir de ces résultats.

Graphique 1
Nombre d'objets différents consultés avant réponse en fonction de l'interface et de l'ordre de passation

6.3 Résultat en rapport avec l'hypothèse 3

La troisième hypothèse découle des deux premières. La première hypothèse postule que, plus l'émetteur se trouve proche de l'objet, plus le contexte de référenciation est clarifié. Notre deuxième hypothèse postule quant à elle que le 'view awareness' entraîne, lui aussi, une clarification du contexte conversationnel. D'après nous, l'émetteur resterait plus éloigné de l'objet référencé en présence du 'view awareness' ; l'émetteur ne se repose pas sur son action pour clarifier le contexte, puisque le système le clarifie pour lui par la présence du 'view awareness'. Alors qu'en l'absence de 'view awareness' l'émetteur tendra à plus se rapprocher de l'objet afin de clarifier le contexte. Cette hypothèse suppose donc que l'émetteur reconnaisse la présence du 'view awareness' comme ayant un effet clarificateur sur le contexte conversationnel, sans quoi il n'a pas de raison de modifier sa distance à l'objet en fonction du 'view awareness'.



NMeanStd. DeviationMinMax
Distance de l'émetteur au moment de l'émissionsans 'view awareness'934.56431.73291.219.42
avec 'view awareness'1045.00482.67261.4922.36
Total1974.79692.28291.2122.36
Distance de l'émetteur au moment de la réponsesans 'view awareness'933.91701.93211.2110.85
avec 'view awareness'1044.19172.38981.3020.41
Total1974.06202.18461.2120.41
Distance moyenne de l'émetteursans 'view awareness'934.24051.74451.219.81
avec 'view awareness'1044.55671.95971.4912.05
Total1974.40751.86331.2112.05
Distance parcourue par l'émetteursans 'view awareness'932.28095.3304.0040.64
avec 'view awareness'1042.53686.1069.0046.11
Total1972.41605.7403.0046.11

Tableau 6
Statistiques descriptives

Nous avons effectué une ANOVA pour tenter de mettre en évidence l'interaction entre la variable catégorielle 'view awareness' et les variables continues 'distance de l'émetteur à l'objet'.



Sum of SquaresdfMean SquareFSig.
Distance de l'émetteur au moment de l'émissionBetween Groups9.52719.5271.836.177
Within Groups1011.9931955.190
Total1021.520196


Distance de l'émetteur au moment de la réponseBetween Groups3.70613.706.776.380
Within Groups931.6571954.778
Total935.363196


Distance moyenne de l'émetteurBetween Groups4.90914.9091.417.235
Within Groups675.5681953.464
Total680.477196


Distance cumulée de l'émetteurBetween Groups3.21713.217.097.756
Within Groups6455.28519533.104
Total6458.502196


Tableau 7
ANOVA

Bien que les distances de l'émetteur à l'objet (cf. tableau 6) soient plus élevées avec que sans 'view awareness', l'analyse de variance (cf. tableau 7) ne révèle aucune interactions significatives. La troisième hypothèse n'est donc pas confirmée.


David J. P. Ott
Last modified: Fri Jan 14 18:40:35 MET 2000