Collaboration dans un environnement virtuel 3D : influence de la distance à l'objet référencé et du 'view awareness' sur la résolution d'une tâche de 'grounding'


5. Méthode de recherche

" It takes two people working together to play a duet, shake hands, play chess, waltz, teach, or make love. "
H. H. Clark & S. E. Brennan

5.1 Thématique de recherche

Notre expérience s'insère dans le cadre des recherches sur la collaboration, i.e. la collaboration dans les RV3D. Les deux prochains paragraphes développent les implications théoriques de l'expérience.

5.1.1 Espace virtuel et collaboration dans une RV3D

A force de vivre dans un espace en trois dimensions, nous avons appris à interpréter et utiliser les propriétés collaborative de l'espace (cf. 4.3.1 Propriétés collaboratives de l'espace et de l'espace virtuel). La proximité est une de ces propriétés. Nous savons par exemple que nos interactions avec des objets ou d'autres personnes, nécessitent souvent la proximité avec ceux-ci. Nous ne pouvons pas ramasser un objet pour l'examiner s'il ne se trouve pas à nos pieds, et discuter de vive voix avec un collègue distant d'une centaine de mètres n'est pas chose aisée [ note 11 ], même s'il est notre voisin le plus proche. La proximité spatiale conditionne donc nos activités. Nous savons d'ailleurs, qu'il en est ainsi pour nous et pour les autres, ce qui nous permet aussi d'interpréter les actions des autres, en fonction de leur localisation dans l'espace. Nous pensons que cette connaissance des propriétés de l'espace peut dans une certaine mesure être transférée dans un espace virtuel (construit sur la base d'une métaphore spatiale).

Deux personnes collaborant dans une RV3D peuvent être amenées à parler d'un objet, donc d'y faire référence. Si le système le permet, un geste déictique comme par exemple pointer l'objet du doigt, ou un énoncé décrivant en détail l'objet, suffira sûrement à clarifier le contexte de la référenciation, i.e. le contexte permettant d'associer un énoncé à l'objet référencé par cet énoncé. Si le système ne permet pas ce genre de clarification, les collaborateurs peuvent aussi s'appuyer sur les propriétés collaborative de l'espace, comme par exemple la proximité que nous avons citée ci-dessus. Dans une RV3D il est relativement facile de percevoir si deux choses sont proches l'une de l'autre. La proximité à un objet pourrait donc être utilisée comme une sorte de 'distance déictique'. C'est ce que nous proposons dans notre première hypothèse (cf. 5.4.4.1 Hypothèse 1). Dillenbourg et al. (cf. 4.3.1 Propriétés collaboratives de l'espace et de l'espace virtuel) remarquent d'ailleurs que l'espace virtuel facilite la construction de connaissances communes, du fait qu'il crée des micro-contextes conversationnels.

5.1.2 'Workspace awareness' et collaboration dans une RV3D

La collaboration entre deux ou plusieurs personnes, s'effectue souvent dans un espace de travail. L'espace de travail pouvant être définit comme un lieu, contenant des objets et des personnes interagissant entre elles et avec les objets. La connaissance mutuelle que ces personnes ont de leur espace de travail, le 'workspace awareness' (cf. 4.2.1 Le 'workspace awareness'), résulte de la prise en compte d'une multitude d'informations (visuelles, sonores, etc.). Un espace de travail réel fournit de nombreuses informations sur les activités des collaborateurs. Par exemple, un simple coup d'œil suffit souvent pour savoir où se trouve son collègue et qu'est-ce qu'il fait. Un ECV comme espace de travail est bien moins informatif (cf. 4.2.1.3 Les environnements virtuels collaboratifs et le 'workspace awareness'). Pour palier ce manque d'information nécessaire à la collaboration il est possible de développer des outils spécifiques fournissant certaines informations désirées. Dans la littérature dédiée à ce sujet on utilise le terme 'awareness tools' (abr. 'AT') pour désigner ces outils de connaissances.

Nous avons vu dans le paragraphe précédent (cf. 5.1.1 Espace virtuel et collaboration dans une RV3D) comment en l'absence de la possibilité d'effectuer des gestes déictiques, une propriété collaborative de l'espace, i.e. la proximité, pourrait être utilisée pour clarifier le contexte d'une référenciation. Mais le contexte peut aussi être clarifié grâce à un AT indiquant par exemple les objets visibles par l'émetteur, en supposant bien entendu que celui-ci regarde l'objet dont il parle. C'est ce que propose notre deuxième hypothèse.

5.2 Hypothèses générales

La tâche expérimentale consiste pour les sujets d'effectuer une communication référentielle. Ils doivent faire référence à un objet sans pouvoir le décrire, ni le désigner à l'aide d'une gestuelle habituelle. Le contexte de référenciation est donc à priori ambiguë. Mais nous pensons que les collaborateurs peuvent utiliser d'autres indices pour arriver à leurs fins. Un indice que les sujets peuvent utiliser leur est fournit par une des propriétés collaboratives de l'espace, i.e. la proximité.

Hypothèse 1 : Les collaborateurs vont utiliser la proximité à l'objet référencé afin de clarifier un contexte de référenciation ambiguë.

En mettant à disposition des collaborateurs un AT les informant sur le champ de vision de leur partenaire, nous pensons leur fournir un autre indice.

Hypothèse 2 : La connaissance du champ de vision du partenaire entraîne une clarification du contexte de référenciation.

La proximité à l'objet référencé et l'AT, participent tous les deux à la clarification du contexte de référenciation. Cette redondance d'information risque d'influencer le comportement de l'émetteur du message référentiel.

Hypothèse 3 : L'émetteur du message référentiel utilisera moins la proximité à l'objet référencé pour clarifier le contexte de référenciation lorsqu'il sait que son partenaire a connaissance de son champ de vision.

Illustration 2
Capture d'écran de l'ECV. On distingue l'espace virtuel, l'objet modèle en haut en avant-plan, et la zone de texte en bas de l'écran. L'espace virtuel contient l'avatar du partenaire, les 9 objets, et les deux arbres repères. Le point de vue plongeant, depuis une altitude d'environ 10 'mètres', a été adopté pour les besoins de la présentation et ne correspond pas au point de vue réel que les sujets ont de l'espace virtuel. Par ailleurs, cette capture d'écran met en évidence l'effet du 'view awareness'. Les objets dans le champ de vision de l'avatar du partenaire sont de couleur jaune (sur cette image en niveau de gris il s'agit des 4 objets clairs). Les objets hors de son champ de vision sont de couleur brune.

5.3 Description de l'espace virtuel et de la tâche expérimentale

Deux sujets doivent interagir dans des RV3D (cf. Illustration 2). Il leur est proposé d'effectuer à dix reprises (par la suite nous utiliserons le terme 'séquence'), une tâche de collaboration (cf. 5.3.5 La tâche de collaboration). Les sujets se trouvent physiquement dans un bureau différent, face à un écran d'ordinateur et interagissent avec celui-ci à l'aide d'une souris. Une fois l'expérience en route ils ne peuvent donc plus communiquer entre eux si ce n'est à travers l'ECV.

5.3.1 Les avatars : les sujets représentés dans l'environnement virtuel

Les sujets sont représentés dans la réalité virtuelle par des cônes rouges, i.e. les avatars, se déplaçant, i.e. marchant, sur un sol s'étendant à l'infini. Pour chacun des sujets, seul l'avatar du partenaire peut être visible, l'exploration de la réalité virtuelle se faisant à travers les 'yeux' de son propre avatar.

5.3.2 L'espace virtuel de collaboration

Neuf objets sont disposés au centre de l'espace virtuel, sur 3 colonnes et 3 lignes, chaque objet étant distant de son voisin, de ligne ou de colonne, de 10 unités. Une version réduite d'un des neuf objets, i.e. le modèle, 'flotte' devant les avatars, en haut et au centre de l'écran. Les neufs objets et le modèle (réduit) peuvent être observés sous tous les angles, i.e. en cliquant sur les objets il est possible de les faire tourner sur eux-mêmes à volonté dans tous les sens. Nous avons aussi placé deux arbres 'schématisés' (un petit tronc brun avec soit un cône vert, soit une sphère verte, posé dessus) placés à l'extérieur de l'amas d'objets, comme des points de repères, afin de faciliter l'orientation des sujets dans l'espace virtuel (cf. Illustration 2).

Chacun des sujets est représenté par son avatar, et peut se déplacer et explorer librement l'espace virtuel. Il peut aussi observer les déplacements de l'autre avatar s'il se trouve dans son champ de vision. La consultation des objets par contre n'est pas partagée, ce qui implique qu'il n'est pas possible de voir les manipulations d'objet de l'autre, ni tout simplement que l'autre est en train de manipuler un objet.

5.3.3 Deux conditions expérimentales

L'avatar du partenaire n'a aucune indication de devant/derrière qui permet de savoir dans quelle direction l'autre est en train de regarder. Ni donc quels objets sont dans son champ de vision. Une de nos hypothèses postule l'importance de la conscience de la vue de l'autre (en angl. 'view awareness') pour la clarification du contexte conversationnel dans une tâche de collaboration (cf. Hypothèse 2). Nous allons donc, entre autres, comparer les performances des sujets lorsqu'ils disposent du 'view awareness' et lorsqu'ils ne disposent pas du 'view awareness'. Durant les 10 séquences que dure l'expérience, chaque paire collabore pour la moitié des séquences avec 'view awareness' (cf. Illustration 3a), et sans 'view awareness' (cf. Illustration 3b) pour l'autre moitié.

Illustration 3a
Séquence avec 'view awareness'

Illustration 3b
Séquence sans 'view awareness'

5.3.4 Le 'view awareness tool'

Dans la condition avec 'view awareness', les sujets voient les objets se trouvant dans le champ de vision de leur partenaire changer de couleur ; les objets dans le champ de vision sont de couleur jaune, alors que les objets hors du champ de vision sont de couleur brune. Un témoin jaune à gauche de la zone de texte indique aux sujets qu'ils effectuent une séquence avec 'view awareness'. Dans la condition sans 'view awareness' les objets ne changent pas de couleur s'ils sont dans le champ de vision de son partenaire (cf. Illustrations 3a et 3b).

5.3.5 La tâche de collaboration

L'expérience comporte 10 séquences. Chacune de ces séquence est une RV 3D dont nous avons décrit le contenu ci-dessus (cf. 5.3.2 L'espace virtuel de collaboration). Les 9 objets et la position de l'objet cible, sont différents d'une séquence à l'autre. A chaque fois la paire a comme tâche de se mettre d'accord sur l'objet correspondant au modèle. Il s'agit donc d'une tâche de comparaison. Lorsque l'un des sujets pense avoir trouvé le 'bon' objet, il (l'émetteur) doit en avertir son partenaire (le récepteur), et celui-ci doit alors accepter ou refuser l'objet proposé. Le travail du récepteur est rendu problématique par le fait que l'émetteur n'a pas la possibilité de pointer ou toucher l'objet qu'il pense être le bon, et, nous l'avons déjà évoqué, le devant/derrière des avatars n'est visuellement pas percevable, ce qui rend à priori impossible d'identifier l'objet référencé. Selon nos hypothèses nous pensons que le récepteur va donc utiliser d'autres informations pour identifier l'objet auquel l'émetteur fait référence, notamment des informations concernant la distance aux objets de l'émetteur ou des informations concernant le champ de vision de l'émetteur. Le système assiste donc les sujets dans la résolution de la tâche en la découpant en deux étapes. Il est intéressant de relever que ces étapes correspondent aux deux phases d'une contribution (cf. 4.1.1 La contribution). Dans la phase de présentation, l'émetteur informe le récepteur qu'il a trouvé l'objet en question et qu'il attend que le récepteur confirme son choix. Dans la phase d'acceptation, le récepteur doit identifier l'objet auquel l'émetteur fait référence et accepter ou rejeter sa proposition. La tâche est terminée lorsque les deux sujets arrivent à se mettre d'accord, i.e. l'identité de l'objet a été mutuellement reconnue par les deux sujets. L'activité proposée correspond donc schématiquement à un 'grounding' (cf. 4.1 Le 'grounding').

Illustration 4
L'interface de communication structurée prend la forme de trois boutons attachés aux différents objets. Les boutons sont toujours orientés face à l'avatar.

5.3.6 La communication à travers la réalité virtuelle

Une interface de communication structurée, sous la forme de trois boutons 'attachés' à chacun des neuf objets, permet la communication entre les deux sujets (cf. Illustration 4). En cliquant sur le bouton 'OBJ' attaché à l'objet choisi (l'objet référencé) un sujet émet le message "C'est celui-ci" à l'adresse de son partenaire. Le message, accom-pagné d'un signal sonore, apparaît en bas au centre de l'écran du partenaire. Les deux autres boutons 'OUI' et 'NON', émettent respectivement les messages "Oui ! C'est bien celui-ci" et "Non ! Ce n'est pas celui-ci", et sont aussi accompagnés d'un signal sonore.

5.3.7 Feedback sur la réponse

Si le récepteur accepte la proposition d'objet de l'émetteur, un message généré par la réalité virtuelle, i.e. un feedback, est donné aux sujets leur indiquant s'ils se sont mis d'accord sur le bon objet (l'objet correspondant au modèle). S'ils se sont effectivement mis d'accord sur le bon objet, les deux sujets passent automatiquement à la prochaine séquence.

5.4 Plan expérimental

5.4.1 Les variables indépendantes

Nous ne manipulons qu'une seule variable pendant l'expérience.

Le 'view awareness'
Cette variable code la présence ou l'absence du 'view awareness tool' (cf. 5.3.3 Deux conditions expérimentales).

5.4.2 Les variables dépendantes

Une série de mesures est prise chaque fois qu'un des deux sujets d'une paire effectue une proposition d'objet, et ce jusqu'à confirmation (ou infirmation) de la part de son partenaire. Autrement dit, ces mesures reflètent certaines actions effectuées par la paire entre l'émission de la proposition par l'un des deux sujets, jusqu'à la réponse de son partenaire.

Tout au long de l'expérience, le système enregistre automatiquement une série de paramètres, les données brutes. En fait, les valeurs des variables dépendantes sont obtenues off-line, après avoir effectué une série de transformations et de calculs sur les données brutes.

5.4.2.1 Les variables de distance à l'objet

Les quatre premières variables présentées ci-dessous se rapportent à l'émetteur d'une proposition. Face à l'impossibilité de savoir quel est l'objet référencé (les interactions verbales ne fournissent aucune indication sur l'identité de l'objet et les avatars sont exempts d'indices de pointage), le seul indice à partir duquel le récepteur peut déduire l'identité de l'objet référencé est la distance de l'émetteur à cet objet. Comme la distance à l'objet peut varier à tout moment de l'expérience en fonction des déplacements de l'émetteur, il nous semble important de recueillir les quatre mesures proposées ci-dessous. Par la suite nous nous référerons à ces variables avec le terme générique 'distance à l'objet'. Lors des analyses statistiques nous utiliserons chaque fois les quatre variables.

La distance de l'émetteur au moment de l'émission
Cette variable représente la distance (en valeur absolue) à l'objet référencé, à laquelle se trouve l'avatar de l'émetteur au moment de l'émission de la proposition (utilisation du bouton 'OBJ' de l'interface de communication).

La distance de l'émetteur au moment de la réponse
Cette variable représente la distance (en valeur absolue) à l'objet référencé, à laquelle se trouve l'avatar de l'émetteur au moment de la réponse de son partenaire (utilisation du bouton 'OUI' et 'NON' de l'interface de communication).

La distance moyenne de l'émetteur
Cette variable représente la distance moyenne (en valeur absolue) à l'objet référencé, à laquelle se trouve l'avatar de l'émetteur entre le moment de l'émission de la proposition et la réponse. La moyenne est calculée sur la base des distances à l'objet référencé de l'avatar-émetteur, durant le délai de réponse. A la différence des deux variables précédente cette variable tient compte des distances successives de l'avatar-émetteur durant le délai de réponse.

La distance parcourue par l'émetteur
Cette variable représente la distance (en valeur absolue) que l'avatar de l'émetteur parcourt, entre le moment de l'émission de la proposition et la réponse. Le cumule de déplacement est calculé en sommant la distance parcourue par l'avatar de l'émetteur pendant le délai de réponse. Tout comme la variable précédente (la distance moyenne de l'émetteur), cette variable permet de quantifier le comportement de l'émetteur pendant le délai de réponse. Mais à la différence de la distance moyenne, la distance cumulée nous renseigne sur l'ampleur du déplacement de l'avatar-émetteur.

5.4.2.2 La variable de réduction de l'ambiguïté

La cinquième variable se rapporte au récepteur de la proposition, celui qui doit confirmer ou infirmer la déclaration de l'émetteur. Avant la phase de pré-expérimentation nous pensions mesurer le taux d'erreur dans les réponses des sujets, mais les pré-expériences ont montré que les sujets récepteurs (sûrement en raison de l'absence quasi totale d'information relative à l'identité de l'objet référencé, ce qui rend la situation probablement trop ambiguë) utilisent une heuristique de réduction de l'ambiguïté avant de répondre. Suite aux interviews des sujets pré-expérimentaux, il nous est possible de tenter une brève définition de cette heuristique. Elle semble consister d'une croyance et d'un comportement. La croyance porte sur la capacité de l'émetteur à n'émettre que des propositions correctes, i.e. parielle que soi-même ; pour le récepteur il ne fait pas de doute que l'émetteur consulte bien l'objet avant de déclarer avoir trouvé le bon objet. Et le comportement est celui de consulter tous les objets potentiellement référencés par l'émetteur et de trouver le bon objet, c'est-à-dire celui qui correspond au modèle.

Constatant rapidement l'inadéquation de la variable que nous voulions utiliser au départ, c'est-à-dire le taux d'erreur dans les réponses, nous avons décidé de comptabiliser les objets consultés par le récepteur à partir de l'émission de la proposition, jusqu'à la réponse. Si l'ambiguïté est nulle, i.e. le contexte de référenciation est clarifié, le récepteur ne devrait pas consulter d'objet différent avant de donner sa réponse, alors que si l'ambiguïté est élevée le récepteur risque de consulter plusieurs objets avant de donner sa réponse.

Le nombre d'objets différents consultés avant réponse
Cette variable représente le nombre d'objets différents consultés par le récepteur, pendant le délai de réponse. Nous pensons que cette variable reflète au mieux les actions entreprises par le récepteur face à une situation ambiguë, i.e. lorsqu'il n'est pas sûr de l'objet référencé par l'émetteur. Plus la situation est ambiguë, plus le récepteur devrait consulter d'objets différents avant de donner sa réponse.

5.4.3 Les variables contrôlées

Le plan expérimental est de type appareillé. Chaque paire effectue d'abord 5 séquences d'une condition, puis 5 séquences de l'autre condition.

L'ordre de passation des conditions
Cette variable représente l'ordre dans lequel la paire passe les deux conditions, soit sans-avec 'view awareness', ou avec-sans 'view awareness'.

5.4.4 Hypothèses de travail

Nous proposons trois hypothèses de travail. Les deux premières découlent des thèmatiques proposées au début de cette section. La troisième hypothèse repose sur les deux premières.

5.4.4.1 Hypothèse 1 : La proximité de l'émetteur à l'objet référencé clarifie le contexte de référenciation

Nous l'avons précisé plus haut (cf. 5.1.1 Espace virtuel et collaboration dans une RV3D) l'émetteur peut, en alternative à un geste déictique, utiliser la proximité relative par rapport à un objet pour le référencer. Selon cette hypothèse, plus la distance à l'objet référencé est faible, plus le contexte de référenciation est clarifié. Nous utilisons l'activité de réduction de l'ambiguïté par le récepteur (cf. 5.4.2.2 La variable de réduction de l'ambiguïté) comme mesure pour la clarification du contexte de la référenciation. Plus l'activité de réduction d'ambiguïté est basse plus le contexte de la référenciation est clair. La variable représentant l'activité de réduction de l'ambiguïté est le nombre d'objets différents consultés par le récepteur avant qu'il ne donne sa réponse.

Nous proposons donc l'hypothèse opérationnelle suivante :

Plus la distance de l'émetteur à l'objet référencé est faible, plus le nombre d'objets différents consultés avant réponse est bas.

5.4.4.2 Hypothèse 2 : Le 'view awareness' clarifie le contexte de référenciation

Nous l'avons vu plus haut (cf. 5.1.2 'Workspace awarenss' et collaboration dans une RV3D) le récepteur peut utiliser les informations qu'il a du champ de vision de l'émetteur pour clarifier le contexte de référenciation. Nous nous attendons à observer une clarification supérieure de la référenciation dans les séquences avec 'view awareness' que dans les séquences sans 'view awareness'. Tout comme pour l'hypothèse 1, nous utilisons l'activité de réduction de l'ambiguïté par le récepteur (cf. 5.4.2.2 La variable de réduction de l'ambiguïté) comme mesure pour la clarification du contexte de référenciation. Selon cette hypothèse, plus l'activité de réduction d'ambiguïté est basse plus le contexte de la référenciation est clair. La variable représentant l'activité de réduction de l'ambiguïté est le nombre d'objets différents consultés par le récepteur avant qu'il ne donne sa réponse.

Nous proposons donc l'hypothèse opérationnelle suivante :

Le nombre d'objets différents consultés avant réponse est plus bas dans les scènes avec 'view awareness' que dans les scènes sans 'view awareness'.

5.4.4.3 Hypothèse 3 : La distance de l'émetteur à l'objet référencé augmente avec le 'view awareness'

Selon le principe de moindre effort collaboratif (cf. 4.1.3 Le moindre effort collaboratif), l'effort dépensé par les partenaires dans un acte de 'grounding' doit être minimum en fonction des besoins de la situation. Pour l'émetteur, clarifier le contexte de référenciation en utilisant la proximité à l'objet référencé (cf. 5.4.4.1 Hypothèse 1) demande un certain effort (de déplacement). D'après notre deuxième hypothèse (cf. 5.4.4.2 Hypothèse 2) la présence du 'view awareness' contribue à clarifier le contexte de la référenciation. La proximité à l'objet référencé et la présence du 'view awareness' participent donc tous les deux à la clarification du contexte de référenciation. Cette redondance n'étant pas forcément nécessaire, nous nous attendons à observer dans la condition avec 'view awareness' une baisse de l'effort investi dans le maintient de la proximité à l'objet, résultant en un distance de l'émetteur à l'objet référencé plus élevée.

Nous proposons donc l'hypothèse opérationnelle suivante :

La distance de l'émetteur à l'objet référencé est plus élevé dans les scènes avec 'view awareness' que dans les scènes sans 'view awareness'.

5.5 Population

40 sujets des deux sexes ont participés à l'expérience, soit 20 paires ; 10 paires pour chacun des deux ordres de passation des conditions. L'âge des sujets varie entre 24 et 43 ans avec une moyenne de 29 ans. Une grande majorité des sujets ont été recrutés parmi les étudiants de la FAPSE. En échange de leur participation à l'expérience, ils participaient automatiquement au tirage au sort d'un billet de train aller-retour Genève-Paris.

La navigation et la manipulation d'objets dans une RV3D est une compétence qui s'acquiert avec quelques heures d'entraînement. Cette compétence permet une certaine efficacité dans l'interaction avec la RV3D, et évite des déplacements non désirés. Il aurait été intéressant de pouvoir contrôler cette variable. Malheureusement, il n'a pas été possible d'imposer cette compétence comme critère de sélection pour notre population, car il est difficile de trouver suffisamment de sujets ayant une expérience suffisante. La seule condition de participation à l'expérience consistait à avoir une pratique rudimentaire de l'utilisation des ordinateurs, ce afin d'assurer une certaine homogénéité des compétences de manipulation de la souris.

5.6 Matériel et Stimuli

Les sujets sont assis dans deux bureaux différents. Face à eux se trouve un ordinateur Compaq PII 300Mhz, équipé d'un écran 17", de haut-parleurs, d'un clavier, d'une souris. Le logiciel utilisé est Netscape Navigator avec deux plug-ins, Cosmoplayer et Deepmatrix. Cette configuration matérielle et logicielle permet aux sujets, de percevoir visuellement et auditivement la RV multi-utilisateurs, ainsi que d'interagir avec elle.

Le langage de modélisation VRML ('Virtual Reality Modeling Langage') permet de décrire des scènes 3D. La visualisation des scènes 3D s'effectue grâce au plug-ins Cosmoplayer, qui interprète la description VRML et génère une représentation 3D. VRML permet aussi de programmer le comportement des différents objets de la scène afin de construire des objets interactifs. L'utilisateur peut donc explorer la RV, et interagir avec certains objets de la scène.

Le partage de la scène 3D s'effectue grace au plug-in Deepmatrix. Ce plug-in se connecte à un serveur multi-utilisateur, avec lequel il va échanger des informations durant le temps de la connexion. Deepmatrix permet de partager entre plusieurs utilisateurs certains objets ou propriétés d'objet de la scène 3D. Par exemple, les déplacements d'un sujet, i.e. l'avatar, dans la RV transite via le plug-in par le serveur Deepmatrix pour aboutir à un déplacement perceptible par son partenaire. Deepmatrix permet aussi la communication dans notre dispositif. Lorsqu'un sujet actionne un des boutons de l'interface de communication une information circule par le serveur et active l'affichage d'un texte sur l'écran du partenaire.

5.7 Consignes

Les consignes détaillées se trouvent en annexes. Il s'agit d'un document HTML de 5 pages, intégrant texte et images, ainsi que deux fenêtres 3D, à des fins d'entraînement. Les sujets étaient invités à lire les consignes, et s'entraîner à la navigation et à la manipulation d'objets dans les RV d'entraînement. Une fois les consignes lues, les 2 sujets étaient réunis afin qu'ils puissent poser d'éventuelles questions à l'expérimentateur avant le début de la phase expérimentale.

5.8 Procédure

Les sujets n'avaient pas de limite de temps pour passer l'expérience. La plupart des paires ont mis environ 30 minutes pour effectuer les étapes 1 à 6. La durée du débriefing dépendait en grande partie de la curiosité des sujets sur les tenants et les aboutissants de l'expérience. Les différentes étapes de passation de l'expérience furent les suivantes :

  1. Accueil des sujets et attribution de l'ordre de passation des conditions expérimentale à la paire.
  2. Attribution d'un des 2 ordinateurs (dans des pièces différentes) à chaque membre de la paire. Les ordinateurs sont enclenchés. Netscape est ouvert sur la première page des consignes.
  3. Lectures des consignes.
  4. L'expérimentateur réunit la paire et vérifie que les sujets n'ont pas de questions.
  5. Passation des 10 séquences.
  6. Les sujets répondent au questionnaire post-expérimental.
  7. L'expérimentateur réunit la paire et débrief les sujets.

Notes

note 11 : Evidemment, l'exemple perd de sa valeur si les deux partenaires utilisent un téléphone cellulaire. [ retour txt ]


David J. P. Ott
Last modified: Fri Jan 14 18:40:18 MET 2000