Un jour, dans notre belle campagne genevoise, Maître Renard revenait de la ville avec son fils, le petit Renardeau. Etant passé par un grand
magasin, le petit Renardeau gambadait gaiement, tenant fièrement dans sa gueule la ficelle d'un ballon.

En chemin, ils rencontrèrent Maître Corbeau et son petit
Corbillat, qui se tenaient tous deux, sur une branche, perchés.
Maître Corbeau, qui s'en était allé auparavant chez le fermier, tenait en son bec un "Schabzigger", bien fait et ragoûtant.

Maître Renard, par l'odeur alléché, décida que ce fromage serait sien avant que le soleil ne soit couché, et, rusé
comme un chimpanzé, il lui tint à peu près ce langage:
"Bonjour, Maître Corbeau !
Quel plaisir de vous voir, dans votre belle robe noire.
A mon fillot, je disais justement que votre renommée, portée bien au-delà des champs,
Mentionne que votre ramage est aussi ennivrant que votre plumage est
chatoyant.
Nous donner un extrait de votre Récital passé ne plairait-il pas
à votre Virtuosité?"
A ces mots, Maître Corbeau ne se sentit plus d'aise et, flatté, il
prit une grande inspiration avant d'entonner l'Air des Bijoux de Faust.
Malheureusement, au moment où les premières notes sortirent de son bec, le Schabzigger lâché tomba dans la gueule de Maître Renard.

Maître Corbeau, pris dans son envolée musicale, poursuivit son
air, et ce n'est qu'une fois terminé qu'il entendit Maître Renard
lui avouer:
"Sachez, Mon Cher, que j'ai toujours su l'art lyrique et l'art gastronomique
marier!"
De son côté, le petit Corbillat louchait depuis un bon moment sur
le ballon du Renardeau. Ajoutée à cette envie la désolation de voir son père roulé, il prit son courage
à deux ailes et apostropha le Scélérat:
"Maître Renard, je m'étonne que vous, qui vous vantez de votre
finesse et de vos goûts culinaires, n'ayez pas appris à votre
fils les bonnes manières. Le jeune Renardeau serait-il trop rustre pour
remercier mon Père si illustre?"
Maître Renard, fort gêné d'avoir été ainsi
blâmé, obligea son fillot à remercier en quelques mots. Ce dernier dit: "Bravo!", mais déjà le regretta, car la ficelle
lâchée libéra le ballon.

En deux battements d'ailes, le jeune Corbillat l'attrapa et revint fièrement se poser vers son père. Maître Corbeau, tout guilleret, adressa au Rival ce pamphlet:
"Mon Cher Maître Renard!
De vous mon fillot a appris; de toucher le point faible, il suffit.
Mais outre l'art de la ruse, il a aussi la science infuse.
C'est pourquoi il savait, que, lâché, le ballon monterait."
