APP

Apprentissage par problèmes (APP) et les nouvelles technologies d'enseignement.

Partie 1

Introduction
Enseignement traditionnel versus APP
Origine et buts de l'APP
Les bases psychologiques de l'APP
Raisonnement clinique et conception d'un problème
Rôle des étudiants et du tuteur dans les étapes d'un APP
Evaluation de l'efficacité de l'APP
Conclusion
Références

Partie 2

Technologie d'apprentissage et de formation: usages et évolution
Quel EAO pour l'enseignement de la médecine ?
Quel EAO spécifique à l'APP ?
Conclusion
Références


Première partie

Introduction

L'éducation médicale est en train d'être réévaluée dans de nombreuses universités. Cette réévaluation prend sa source dans le constat que la plupart des connaissances en sciences de base et cliniques acquises par les étudiants sont des connaissances inertes et volatiles. En effet, trop souvent, les étudiants sont incapables d'appliquer et mettre en oeuvre les concepts appris lorsqu'ils se trouvent en face d'un patient.

Pour palier à ces carences et construire des savoirs mobilisables, plus de 80 universités ont déjà embrassé tout ou partie d'un curriculum basé sur le principe de l'apprentissage par problèmes ou APP (en anglais: problem based learning, PBL).

La première partie de ce document présente l'APP comme forme d'enseignement en contexte et la deuxième partie se concentre sur l'utilisation des nouvelles technologies d'apprentissage dans le cadre de l'APP.

Enseignement traditionnel versus APP.

L'enseignement de la médecine tel qu'il est pratiqué dans la plupart des universités est caractérisé par une à deux années d'enseignement de sciences de base (biologie, chimie, physiologie, etc.). Ensuite l'étudiant entreprend sa formation clinique dans les hôpitaux où il suit une série de stages obligatoires suivis de stages de spécialisation à choix. Ce mode d'enseignement conventionnel est organisé autour de cours ex cathedra dans de grands auditoires, de travaux pratiques et de tests périodiques sous la forme de questions à choix multiples. Tous les objectifs sont définis par la faculté.

L'apprentissage par problèmes est une méthode d'enseignement basée par l'utilisation de cas de patients (patient problems) comme contexte dans lequel l'étudiant acquiert des connaissances à la fois en sciences de base et cliniques ainsi qu'une capacité à résoudre des problèmes cliniques (problem solving skill). La caractéristique essentielle de l'APP est que le problème est présenté avant que les étudiants aient appris les concepts cliniques et les sciences de base qui s'y rattachent. Une fois le problème posé, la séquence d'apprentissage est la suivante: 1) en petit groupe de 8 à 10 étudiants, discussion et identification des besoins en terme de connaissances nouvelles à acquérir, 2) répartition de la tâche et travail individuel, 3) mise en commun des connaissances nouvellement acquises et utilisation de ces connaissances dans la résolution du problème, 5) un bilan de travail de groupe est finalement effectué. Ces étapes seront reprises en détail dans la section "Rôle des étudiants et du tuteur dans les étapes d'un APP" ci-dessous.
Durant ce processus, les étudiants sont encadrés par des tuteurs qui ont un rôle de guides ou, selon le terme officiel de l'APP, facilitateurs d'apprentissage.

Origine et buts de l'APP

L'apprentissage par problèmes est une méthode d'enseignement et d'apprentissage qui appartient au courant de la psychologie cognitive et du constructivisme.
Schmidt (Schmidt, 1993) fait remonter les racines de l'APP à Dewey qui, dans les années 30, fût l'un des premiers à dire que la connaissance ne se transfère pas telle quelle, mais que l'apprentissage requiert une participation active de l'apprenant. Dewey développa une méthode d'enseignement où les problèmes que l'on peut rencontrer dans la vie réelle étaient les éléments de départ à partir desquels l'apprentissage se faisait. Il insista aussi sur le développement de capacité d'apprentissage indépendant chez les enfants.
Schmidt cite aussi les idées développées par Bruner et notamment celles d'auto-découvertes et de motivations intrinsèques comme force qui pousse les jeunes enfants à découvrir leur monde.
Curieusement, le pédagogue français Célestin Freinet semble avoir été oublié par les auteurs anglophones. Freinet a développé une pédagogie de projet oùl'on retrouve la plupart des dimensions utilisées dans l'APP:

Quant aux courants contemporains, l'APP est très proche des idées de l'apprentissage en contexte et, notamment, des méthodes développées à l'université de Vanderbilt où l'on pratique l'"enchored learning" (Cognition and Technology Group at Vanderbilt, 1992), ou bien de celles du "cognitive apprenticeship" (Collins, Brown et Newman, 1989).

L'APP en médecine est né à l'université canadienne de McMaster. L'école de médecine de cette université a été créée dans les années 60, une période préoccupée par l'accélération de la masse des informations, les avancées technologiques et par une attention à l'individualité et son expression.

L'APP peut être enseigné selon un mode centré sur l'enseignant ou un mode centré sur l'étudiant. Dans le cas d'un APP centré sur l'enseignant, c'est ce dernier qui décide quels problèmes utiliser, le domaine d'études ainsi que les connaissances qui, liées aux problèmes, doivent être l'objet d'apprentissage. Dans le cas d'un APP centré sur l'étudiant, c'est ce dernier qui détermine quoi et comment apprendre. C'est lui qui prend en charge la responsabilité de son éducation. Dans ce cas l'enseignant agit comme guide.
C'est cette deuxième forme que les concepteurs de l'APP estiment idéale. En effet, l'étudiant apprend à apprendre, une faculté qui lui sera utile pour s'adapter aux nouvelles connaissances, défis et problèmes qu'il ne cessera pas de rencontrer durant sa vie de praticien. L'étudiant devenant un acteur dans son processus d'apprentissage devrait être plus motivé, la récompense est intrinsèque à la tâche: apprendre pour grandir personnellement et professionnellement.

Les objectifs de la méthode APP sont les suivants:

  1. apporter aux étudiants des compétences dans le raisonnement clinique ou dans la résolution de problèmes.
  2. faciliter l'acquisition, la rétention et le bon usage des connaissances.
  3. réduire le fossé entre les sciences de base et cliniques par un enseignement intégré (dans un curriculum traditionnel, ces deux domaines sont enseignés séparément).
  4. acquérir des capacités d'auto-apprentissage.
  5. promouvoir un intérêt intrinsèque au domaine enseigné et ainsi motiver les étudiants à apprendre.

Les bases psychologiques de l'APP.

Selon Norman et Schmidt (1992) l'idée ou l'espoir de pouvoir acquérir des compétences dans la résolution de problème en général est fausse. En effet, de nombreuses études ont montré qu'une expertise est toujours liée à un domaine très précis. Par contre, on peut envisager trois rôles de l'APP:
  1. l'acquisition de connaissances factuelles dans le contexte où elles seront utilisées ultérieurement
  2. la maîtrise de principes généraux de telle manière à ce qu'ils puissent être transférés pour résoudre de nouveaux problèmes,
  3. l'acquisition d'exemples qui peuvent être utilisés par la suite pour solutionner de nouveaux problèmes sur la base d'une similarité ou caractéristiques communes (pattern recognition).

Acquisition de connaissances factuelles.
Bien que cela semble évident, la psychologie cognitive a formellement démontré que ce que l'on est capable d'apprendre et retenir d'un nouveau domaine dépend fortement des connaissances que l'on a préalablement sur ce sujet (Bransford et Johnson, 1972, cité dans Norman et Schmidt, 1992, p 559). Cependant avoir des connaissances sur un sujet est une condition nécessaire mais pas suffisante: il faut que ces connaissances préalables puissent être activées. La discussion d'un problème en petit groupe est une méthode pour activer ces connaissances préalables.
Notre capacité à mémoriser des faits et à pouvoir les rappeler plus tard est fortement augmentée si l'on peut élaborer cette connaissance au moment de l'apprentissage. Ce concept d'élaboration repose sur l'idée cognitiviste que nos connaissances sont gardées en mémoire selon un réseau sémantique. L'élaboration en cours d'apprentissage consiste à faire de multiples relations entre les items que l'on apprend, ou, autrement dit, de créer un réseau de chemin d'accès aux items qui est redondant. Ceci facilitera leur rappel ultérieur. L'élaboration peut se faire sous la forme de discussions, réponses à des questions, utilisation de ces connaissances pour résoudre un problème.
Ainsi l'APP est un format qui permet à la fois d'activer d'anciennes connaissances et de les consolider avec les nouvelles connaissances en cours d'acquisition.

Transfert.
Le transfert, au sens large, de compétences n'a jamais pu être démontré. Cependant, des expériences récentes (Needham et Begg, 1991) montrent que deux conditions favoriseraient un transfert:

  1. le nouveau problème doit être approché sans avoir de trop grandes connaissances préalables du domaine. Ainsi l'apprentissage de concepts au cours de la résolution d'un problème semblerait être une stratégie idéale pour le transfert de concepts ou principes pour résoudre un nouveau problème (cette condition contredit quelque peu ce que l'on a dit ci-dessus sur les connaissances préalables !)
  2. les étudiants engagés dans la résolution du problème doivent recevoir des réactions correctives durant leur tentative pour résoudre le problème et non après (cette condition est proche de l'idée béhavioriste du feed-back immédiat.)

Reconnaissance de similitudes.
Les recherches (Brooks, 1987, cité dans Norman et Schmidt, 1992, p562) tentant d'analyser comment un concept se forme ont conduit à l'élaboration d'une théorie qui propose que, pour chaque classe de concepts, nous avons dans notre mémoire plusieurs instances de ces concepts et que nous prenons des décisions sur la base de la similarité entre une instance courante et une autre antérieure. Bien qu'il n'y ait encore aucune évidence de l'effet de l'APP sur le raisonnement basé sur des instances, il est plausible d'argumenter que l'APP permet d'amasser des instances particulières qui seront essentielles pour faire un diagnostique compétent.

Auto-apprentissage et formation continue
Des études (Norman et Schmidt, 1992, p563 et références) analysant le déclin de performances de médecins engagés déjà depuis longtemps dans la vie professionnelle ont montré que ce déclin n'était pas dû à une mémoire déficiente mais plutôt à une incapacité à acquérir de nouvelles connaissances. Etant donné que l'APP tente d'insuffler le goût à l'étude et est basé en partie sur l'auto-apprentissage, on peut penser que ce mode d'enseignement est plus apte que le mode traditionnel à former des médecins compétents leur vie durant. Quant à l'intérêt intrinsèque dans la tâche d'apprentissage, il semblerait que celui-ci ne joue pas un rôle important dans la chaîne causale entre le traitement d'un domaine de connaissance et les performances liées à ce domaine. Cependant il faut souligner que toutes les études de satisfaction ont montré un grand degré de contentement chez les étudiants ayant choisi la voie de l'APP.

Raisonnement clinique et conception d'un problème

Avant de développer des problèmes pour l'APP, il est important de bien comprendre le processus du raisonnement clinique. Celui-ci a été analysé en détail et est constitué par la séquence suivante (Barrows and Tamblyn, 1980, p19-36):
  1. Perception et interprétation de l'information:
    Lors de son premier contact avec le patient, le praticien se forge spontanément une image du patient. Cette phase est immédiate.
  2. Génération d'hypothèses:
    Après quelques instants de discussion, plusieurs hypothèses sur l'état du patient jaillissent dans son esprit.
  3. Enquête et compétence clinique:
    Le praticien applique une stratégie d'enquête (questions, examens, tests) pour affiner, classer, vérifier ou éliminer les hypothèses du point 2.
  4. Formulation du problème:
    Il synthétise la formulation du problème à partir des hypothèses retenues.
  5. Diagnostic et/ou décision thérapeutique:
    Finalement, il clos son entretien avec le patient par un diagnostic et/ou une thérapie.

Grâce à l'utilisation de cas réels, l'APP permet aux étudiants de prendre conscience de ces segments du processus cognitif, de les modifier, de les développer et de les évaluer. C'est essentiellement le point 3. qui est entraîné par l'APP.

Ainsi, selon Barrows (Barrows and Tamblyn, 1980, p163-164), un bon problème devrait avoir les caractéristiques suivantes:

D'autres écoles ont choisi un format de problèmes plus structurés satisfaisant probablement mieux les besoins des étudiants novices (Albanese and Mitchel, 1993, p72).

Rôle des étudiants et du tuteur dans les étapes d'un APP

L'APP est en général centré sur l'étudiant et c'est donc la responsabilité de participer pleinement, c'est-à-dire pas seulement pour sa propre éducation, mais aussi d'aider les autres membres du groupe dans leur apprentissage. Bien que beaucoup de temps soit passé à la bibliothèque pour des études individuelles, le bénéfice réel de l'APP ne peut se réaliser dans l'isolement (Pross, H., 1996).
Le tuteur a rôle de facilitateur d'apprentissage et ne doit en aucun cas intervenir en donnant un cours. Selon les écoles on peut dégager deux attitudes face au rôle des tuteurs (Schmidt et Moust, 1995). Une perspective met l'accent sur les qualités personnelles du tuteur: être capable de communiquer d'une manière informelle avec les étudiants, de les encourager à apprendre par l'intermédiaire des échanges d'idées. Les partisans de cette attitude estiment qu'un tuteur expert peut court-circuiter l'auto-apprentissage et ainsi être un obstacle au processus même de l'APP. L'autre attitude considère l'expertise du tuteur dans le domaine touchant le problème proposé aux étudiants comme déterminante pour l'apprentissage (ceci est en partie confirmé par les expériences de Needham et Begg qui montrent qu'un feed back correctif rapide est très important dans l'apprentissage (Needham and Begg, 1991)). L'étude de Schmidt et Moust (1995) a montré qu'en fait le tuteur idéal devrait rassembler les deux qualités: expertise dans la matière traitée, engagement personnel pour l'apprentissage des étudiants, capacité à s'exprimer en utilisant le langage des étudiants.

A titre d'exemple et afin de fixer les rôles des étudiants et des tuteurs, on décrira ci-dessous le modèle appliqué à la faculté de médecine de l'Université de Genève (Université de Genève, 1996).
L'APP modèle est constitué de 8 étapes. Les cinq premières correspondent à une démarche d'analyse scientifique d'un problème. La sixième étape est dévolue au travail individuel. Les deux dernières étapes sont respectivement la mise en commun du travail d'auto-apprentissage de chacun et le bilan du travail du groupe.

Etudiant Tuteur
Etape 1: clarifier les termes et les données dans l'énoncé du problème.
après une lecture individuelle puis commune, chaque participant souligne les indices pertinents et départage les termes à clarifier immédiatement pour comprendre l'énoncé des notions qui ne peuvent être comprises qu'après analyse des problèmes veille à ce que les termes pertinents soient compris et identifiés.
Etape 2: reformulation du problème et liste des éléments à expliquer
après avoir reformulé le problème, ils dressent une liste de toutes les situations, manifestations ou phénomènes qui nécessitent des explications. s'assure que les étudiants dressent une liste seulement et n'entrent pas déjà dans l'analyse de ses éléments.
Etape 3: expliquer le problème
c'est une étape d'intense discussion où les étudiants proposent autant d'explications que possible des phénomènes et éléments identifiés pendant l'étape 2. Cette étape correspond au segment "génération d'hypothèses" du raisonnement clinique. veille à maintenir la discussion dans le droit chemin en rappelant les objectifs, encourage l'approfondissement de la discussion tout en essayant de réactiver leurs connaissances antérieures.
Etape 4: discuter et organiser les explications proposées.
organisent, classifient ou regroupent les hypothèses émises à l'étape précédante pour arriver à une synthèse du problème. Cette étape correspond aux point 3 et 4 du raisonnement clinique. par diverses stratégies, invite les étudiants à faire aboutir leur synthèse.
Etape 5: formuler les objectifs d'apprentissage.
identifient les connaissances qu'il doivent acquérir pour résoudre le problème et proposent un plan d'étude en tenant compte des priorités, du temps et des ressources disponibles. Le travail est réparti entre les membres du groupe. travail avec le groupe pour les aider à préciser et délimiter au mieux les objectifs du groupe.
Etape 6: étude individuelle.
chaque étudiant s'engage dans une activité d'enquête individuelle afin d'apporter sa pièce à la solution du puzzle. aucun rôle
Etape 7: mise en commun des connaissances acquises et les appliquer au problème pour en tirer des explications.
en évitant que cette rencontre soit une suite de mini-cours, les étudiants échangent leurs découvertes et, à la lumière de ces nouvelles connaissances, ré-expliquent le problème. Ces échanges n'apportent pas forcément la solution du problème, mais peuvent conduire vers des objectifs d'études complémentaires. veille à ce que cette rencontre reste une discussion où les connaissances s'élaborent.
Etape 8: bilan du travail de groupe.
évaluent si les objectifs d'apprentissage ont été atteints et, le cas échéant, soulèvent des points qu'ils auraient aimer approfondir. On discute aussi du fonctionnement du groupe. stimule la réflexion et anime le débat sur la dynamique du groupe.

Evaluation de l'efficacité de l'APP.

L'APP apparaît, en théorie pour le moins, comme une méthode d'enseignement extrêmement intéressante. Mais est-ce que la moisson est aussi abondante qu'elle le promettait ? Est-ce que l'APP enseigne effectivement la résolution des problèmes, transmet efficacement les connaissances, augmente la motivation, incite à l'auto-apprentissage mieux que l'enseignement traditionnel ?
Trois études, analysant les résultats publiés de vingt ans d'expériences, tentent de répondre à ces questions (Albanese and Mitchell, 1993; Berkson, 1993; Vernon and Blake, 1993). Invariablement, les réponses sont "grises", les comparaisons s'avèrent difficiles, les différences peu interprétables et, malgré ces vingt années de publication sur le sujet, des recherches nombreuses sont encore nécessaire pour se faire une image claire des avantages et désavantages de l'APP.
Cependant le message qui en ressort est que l'on ne peut pas déceler de différences notables entre les compétences des étudiants des deux curriculum et que pour les universités ayant plus de cent étudiants par année, la conversion vers l'APP peut être très coûteuse en ressources humaines et logistiques.

Processus de pensée et résolution de problèmes. D'une manière générale, on n'a pas démontré que l'APP est supérieur à la méthode traditionnelle pour faciliter le raisonnement clinique. Certains rapports tendraient à montrer qu'en fait les étudiants APP ont un désavantage. En effet, l'APP favoriserait un raisonnement de type enquête où l'étudiant avance par tâtonnements dans son analyse du problème. Ce mode de raisonnement (appelé aussi raisonnement "arrière" ou "bottom-up") est typique des novices et, si trop entraîné, pourrait empêcher l'apparition du raisonnement expert. Ce dernier est caractérisé par une reconnaissance très rapide du problème et par sa résolution en utilisant un schéma, éliminant ainsi une grande quantité d'hypothèses que des novices testeraient (Gilhooly, 1990, cité dans Albanese et Mitchell, 1993, p60).
Cette critique est en contradiction avec l'hypothèse selon laquelle l'APP permet d'amasser des instances particulières qui seront essentielles pour faire un diagnostic compétent (cf. Reconnaissance de similitudes). D'autre part l'expertise, par définition, s'acquiert après de nombreuses années de pratique, et il est légitime de douter que des tests pratiqués sur des étudiants permettent de classer leur mode de pensée en novice ou expert.

Connaissances en sciences de base. Cette question est l'une des seules qui ait une réponse assez claire: les étudiants du cursus APP sembleraient avoir acquis moins de connaissances en sciences de base que leurs collègues du cursus traditionnel.

Connaissances et comportement clinique. Les étudiants des deux cursus montrent des performances semblables, avec un léger avantage pour l'APP.

Auto-apprentissage. Les étudiants APP semblent moins prompts que les autres à apprendre pour le court terme (apprentissage de surface). Ils sont enclins à étudier pour comprendre ou analyser ce qu'ils doivent apprendre pour une certaine tâche et à étudier en conséquence. Cependant, l'étude la moins favorable à l'APP (Berkson L, 1993) met en garde contre la tendance qu'il y a à assumer une équivalence entre comportement d'auto-apprentissage et développement réel de capacité d'auto-apprentissage.

Satisfaction et motivation. Ce point est le deuxième vers lequel toutes les études convergent: les étudiants ayant choisi ou ayant été assignés au cursus APP sont très satisfaits de cette forme d'enseignement. Pour ce qui est de la satisfaction des membres de la faculté, ceux-ci se montrent en général contents et apprécient particulièrement le contact personnel avec les étudiants.

Performances à long terme. Du point de vue économique, il semblerait que la médecine pratiquée par les médecins sortants des écoles APP coûte plus par patient (plus de demandes d'expertises secondaires et autres services). Du point de vue humain, ces médecins passent plus de temps avec leur patient, travaillent plus par semaine tout en gagnant moins qu'un médecin traditionnel. Il semblerait aussi que les médecins de l'école APP s'établissent plutôt en ville qu'à la campagne où la médecine se pratique en solo.

Conclusion.

Durant notre analyse de l'APP nous avons constaté que cette méthode d'enseignement partageait de nombreuses idées apportées par le courant constructiviste:

avec le courant de l'apprentissage en contexte (situated learning):

Même si les résultats de l'APP sont assez mitigés, cette méthode d'enseignement a en tout cas le mérite de mettre en évidence les faiblesses des méthodes de l'enseignement classique: inattention criante aux principes d'apprentissage et pédagogiques. Face à la popularité grandissante de l'APP, les écoles de médecine traditionnelles ne peuvent plus éviter de se remettre en question. Certains auteurs (Berkson, 1993) prédisent que les différences entre les deux cursus vont aller en s'amenuisant.

Références:


Deuxième partie

Technologie d'apprentissage et de formation: usages et évolution.

Afin de mieux appréhender l'apport des technologies dans l'apprentissage et la formation, ces dernières seront présentées selon deux points de vues:
a) utilitaire: à quoi peuvent servir les ordinateurs
b) historique: co-évolution de la technique et des courants psychologiques.

Point de vue utilitaire.
L'utilisation des technologies dans l'apprentissage et la formation peut être divisée en cinq catégories (Longstaffe, 1996):

1) Présentation.
L'ordinateur permet de préparer des présentations très riches (textes, images, diagrammes, animations, clip vidéo). Si l'ordinateur est dans la salle, ces documents peuvent être présentés directement via un projecteur, sinon ils peuvent être transférés sur un autre support (transparents, diapositives).
2) Information.
L'ordinateur permet d'accéder très rapidement et en tout temps à un grand nombre d'informations. Ces dernières peuvent être stockées sur un disque dur, un CD-ROM ou sur un serveur.
3) Interaction.
L'interactivité offerte par les logiciels d'enseignement peut aller du plus simple au plus complexe: accès à une base de questions-réponses, tutoriel interactif, simulation.
4) Communication.
L'ordinateur s'affirme de plus en plus comme un outil de communication. Les communications asynchrones (e-mail, forum de discussion) et synchrones (vidéo-conférences, réalités virtuelles) permettent d'étendre les limites physiques (enseignement à distance) et temporelles de l'espace.
5) Progiciel.
Avec ses logiciels spécialisés, l'ordinateur devient aussi un outil de travail au même titre que la plume ou la calculette.

Point de vue historique
L'enseignement assisté par ordinateur (EAO) existe sous plusieurs formes qui reflètent l'évolution à la fois de la technique et des courants psychologiques. En voici une liste plus ou moins chronologique (Mendelsohn P., communication personnelle).

  1. l'enseignement programmé où le savoir à transmettre est fractionné en petites unités qui sont enseignées dans une format "drill and practice". Cette forme d'EAO se rapproche des théories du behaviorisme et de l'associationnisme.
  2. l'apprentissage guidé sous la forme de tutoriels ou didacticiels. Comme dans l'enseignement programmé, le savoir est dans le logiciel, par contre il n'est plus fractionné, mais forme un tout structuré en schéma.
  3. le courant constructiviste modifie radicalement le concept de l'EAO: le support informatique n'est plus un réservoir de connaissances, mais un outil de découverte qui permet à l'apprenant de gérer lui-même ce qu'il apprend. C'est le développement de micromondes contenant toutes les primitives élémentaires d'apprentissage. Le représentant phare de ce concept est le langage LOGO.
  4. l'observation et l'analyse des comportements des experts d'un domaine particulier a permis d'établir des règles et stratégies de résolution de problèmes que l'on a tenté d'implanter dans des tutoriels intelligents: c'est l'enseignement intelligemment enseigné par ordinateur (EIAO). Cette approche a conduit d'abord au développement de systèmes d'aide à la décision puis de tuteurs intelligents. Ces derniers contiennent des modèles de l'expert et de l'apprenant et peuvent s'adapter en fonction des situations (niveau de l'élève, style d'apprentissage).
  5. Le développement de tutoriels intelligents s'est révélé extrêmement coûteux et réalisable uniquement pour un enseignement où la matière est très structurée et codifiable. D'où le développement de logiciels qui fonctionnent par association et l'apparition d'hyperdocuments. L'ensemble des connaissances est structurée en réseau et l'accès aux éléments se fait par saut et non plus linéairement. Ces développements informatiques sont à mettre en parallèle avec les découvertes des sciences cognitives qui ont montré que nos connaissances sont en partie organisées sous la forme de réseaux sémantiques.
  6. Finalement et concomitamment au courant du "situated learning", la télématique est intégrée dans l'enseignement: c'est l'utilisation d'Internet, des groupes de discussions (synchrone: MOO ou asynchrone: NEWS, e-mail).

Bien qu'étant apparues de façon successives, ces formes d'utilisation de la technologie en éducation coexistent , les plus sophistiquées intégrant plusieurs formes.

Quel EAO pour l'enseignement de la médecine ?

Selon une analyse (Fieschi, 1994) de 26 études comparatives publiées entre 1989 et 1992, les EAO utilisés en médecine sont de trois types:

  1. les logiciels d'enseignement programmé. Ici l'ordinateur est considéré comme un support pédagogique au même titre que le document écrit ou audiovisuel: il est un substitut de la leçon traditionnelle et les possibilités propres à l'ordinateur ne sont pas utilisées.
  2. les logiciels de simulation de cas cliniques
  3. des EAO qui utilisent d'une manière couplée des logiciels d'enseignement programmé et des logiciels de simulation de cas
Ces deux derniers types exploitent beaucoup mieux les potentialités de l'ordinateur. Avec des techniques d'intelligence artificielle, on a réussi à créer des tuteurs intelligents qui permettent aux étudiants d'identifier des hypothèses, d'analyser des données, de simuler des situations nouvelles.

Bien que Fieschi regrette l'absence de critères d'évaluation standardisés, son analyse décèle une tendance positive: 16 études concluent en faveur de l'EAO avec pour 6 d'entre elles des résultats significatifs; aucune n'évalue défavorablement l'EAO.

Quel EAO spécifique à l'APP ?

Les formes d'EAO qui correspondent le mieux à la philosophie de l'APP (étudiant actif, connaissances interconnectées, apprentissage en contexte) sont certainement les micromondes, les tutoriels intelligents et les hyperdocuments.
Mais qu'en est il concrètement ? Une recherche dans la base de donnée bibliographique médicale MEDLINE avec les mots clé "Educationl technology", "Computer assisted instruction" (1992 à début 1997) ainsi qu'une recherche sur le réseau Internet avec le mot clé "PBL" montre que deux types d'EAO semblent être utilisés dans l'APP: simulation de cas cliniques et utilisation d'hyperdocuments.

Simulation de cas.

Les simulations de cas cliniques sur ordinateurs existent déjà depuis très longtemps (Friedman, 1995) et avec l'avènement du multimédia et des micro-ordinateurs de plus en plus puissants on assiste au développement de simulations orientées vers les critères d'un APP.
On peut en citer trois. Le premier (Hooper, 1995) met l'accent sur l'utilisation des tests de chimie clinique et la compréhension de la biochimie dans la résolution de cas cliniques. Chaque cas est traité en cinq étapes:

  1. anamnèse du patient
  2. évaluation clinique
  3. évaluation biochimique
  4. diagnostic et traitement
  5. résolution du cas et résumé des points importants.
Le format hypermédia de ce programme permet à l'étudiant d'explorer une grande quantité d'informations et tente d'intégrer plusieurs disciplines (sciences de base et cliniques).

Le second (Schor, 1995) consiste en 13 études de cas qui sont explorés dans un format APP. Avec ce logiciel, les auteurs tentent de démontrer que l'ordinateur est un outil idéal qui permet d'intégrer les sciences de base et cliniques dans la résolution de problèmes.

Le troisième simulateur (Cobbs et al, 1994) est intéressant car il n'est pas utilisé pour transmettre des connaissances déclaratives mais pour aider les étudiants à développer des aptitudes méta-cognitives et un raisonnement multidimentionel pour traiter des patients dans les domaines de la psychiatrie et de la gériatrie. En effet, le travail avec ce type de patients nécessite non seulement de traiter la dimension biologique (B), mais aussi de penser sur les plans psychologiques (P), sociaux (S) et valeur/coût (V). Une première évaluation de ce logiciel a montré que les étudiants amélioraient la qualité de leur traitement après un certain nombre de cas résolus et qu'ils prenaient en compte ce nouveau cadre de pensée (BPSV). Ainsi un certain transfert de connaissances est réalisé. Ce simulateur a été conçu comme un environnement d'exploration au sens constructiviste du terme. Un entretien avec les étudiants a révélé qu'ils apprécient ce genre d'outil mais semblent préférer une approche plus instructionniste et être moins dépendants de l'exploration et de l'auto-découverte. Cette attitude surprenante nous interroge: est-elle dûe à une mauvaise conception du logiciel, à la pression des facteurs temps, efficacité, "retenir l'essentiel" des études de médecine, ou au contexte éducatif classique (l'auteur ne précise pas si l'université dans laquelle ce simulateur est employé a un enseignement traditionnel, APP ou mixte).

Hyperdocuments.

L'aspect exploratoire des hypertextes est un attribut qui rend cet outil très attractif comme source d'apprentissage pour l'APP: il repose sur l'interconnectivité des connaissances, il motive une recherche active de l'information et offre une liberté de choix. C'est pourquoi certains auteurs (Bloch, 1995) proposent la création d'un consortium international qui serait chargé de réunir un ensemble de documents qui s'inséreraient dans un fichier de type html (fichier "Internet") et qui serviraient de base de données ou document source pour les étudiants engagés dans l'apprentissage par problème. Ces documents devraient obéir à certains standards de structure et de style pour favoriser la cohérence des documents mis sur le réseau Internet.

Forum et messagerie électronique.

Certains (Coulehan, 1995) proposent d'utiliser les messages électroniques et/ou groupes de discussion (connus sous les noms News ou Usergroup) pour faciliter les échanges d'idées entre étudiants-étudiants et étudiants-tuteurs. Les avantages sont les suivants: chacun peut porter sa réflexion selon son propre rythme et style, faire des contributions plus riches, profondes et structurées que dans une discussion en groupe réelle (par contre il faut noter que l'apport d'idée nouvelles est moins important). De plus, ce format convient bien aux élèves plus timides qui pourraient être inhibés dans les discussions orales.

Conclusion.

La tendance actuelle n'est plus à simuler le tuteur et/ou l'apprenant dans un tutoriel intelligent. On assiste plutôt à la création d'environnements d'apprentissage (hyperdocuments ou simulateurs) riches en contenu, avec une structure permettant d'accéder aux informations de multiples façons (parcours guidé, parcours thématique, parcours libre) et avec des fonctionnalités de communication.
A l'instar de l'enseignement de la médecine nous sommes en train de vivre une révolution électronique. En effet, avec l'avènement du réseau Internet (WWW), l'ordinateur se transforme en outil d'information et de communication. Ce réseau peut devenir la source principale d'un enseignement assisté par ordinateur à condition d'éviter quelques pièges (Friedman, 1996):
  1. le matériel produit (hypertexte, tutoriel, simulation) doit être intégré au curriculum de l'école, c'est-à-dire que concepteurs et enseignants doivent collaborer au design du matériel, que les documents/logiciels choisis hors école doivent être sélectionnés et obéir à des standards de formats et contenus agréés,
  2. ne pas reproduire des livres à l'écran mais utiliser les points forts des ordinateurs: interactivité, flexibilité et rapidité,
  3. avoir des ordinateurs adaptés et en nombre suffisants,
  4. mise à jour fréquente du matériel,
  5. éduquer le personnel enseignant à utiliser le courrier électronique et les forum de discussion afin de former une communauté.

L'ordinateur ne se substituera ni aux bibliothèques, ni aux tuteurs mais peut soulager ces deux éléments fortement mis à contribution dans un APP. Par contre la création d'un matériel de qualité doit être produit ou assisté par des professionnels.

Références.

Annexe: computer in medical education

Computers in Medical Education Special Interest Group
Site développé par le groupe Association of American Medical Colleges (AAMC). Son but est de promouvoir:
The Medical Matrix Project
association dont le but est de poster, annoter et mettre à jours toutes les ressources Internet concernant le domaine de la santé. Le publique visé est celui des médecins nord américain. On y trouve aussi une liste concernant l'éducation médicale et Internet.

Ce document fait partie du travail réalisé pour le cours DES 15 T/M de Linda Allal et Marcel Crahay: Apprentissage en contexte(s). Ce cours a été choisi comme cours à option de deuxième année du diplôme STAF.


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jeudi, 19 juin 1997
Daniel Scherly