Dans cet article, l'auteur aborde la conception d'applications hypermédias dans le champ de l'histoire. Après s'être arrêté sur les spécificités de la discipline, il présente le cas d'un logiciel conçu en vue de l'enseignement d'une question particulière, celle du mouvement pour les droits civils aux Etats-Unis dans les années 50 et 60. Le but de ce logiciel est double: permettre d'une part l'apprentissage de la matière et d'autre part approcher la question de l'élaboration de la pensée historique comme objet d'enseignement.
Le point de départ est le suivant: l'histoire constitue un domaine mal structuré; la connaissance historique n'est pas statique, ni objective comme pourraient le croire les étudiants amenés à approcher une question précise au cours de leur cursus dans l'enseignement secondaire. Le domaine implique une capacité de rapprochement et de mise en relations d'informations provenant d'horizons différents. La difficulté pour les enseignants en histoire à ce niveau est de parvenir à transmettre, en plus des connaissances sur un sujet précis, la nature de la discipline. Pour ce faire, il est indispensable que les étudiants soient confrontés à des informations de divers types (texte, image, son et vidéo le cas échéant) et puissent les mettre en relation. Le but étant de proposer plusieurs représentations d'un même problème afin que les étudiants intègrent sa complexité. Dans ce domaine, les applications multimédia offrent de larges potentialités; à l'intérieur de celles-ci l'information est, similairement au domaine, non-structurée, non-linéaire et hétérogène. Dans ce contexte, la façon d'organiser l'accès à l'information et les liens entre les différents supports est essentielle. Cette question est au centre de la recherche de K. Swan; l'auteur considère un type de structure à même de réaliser l'objectif présenté.
Cette application hypermédia combine des textes, des photographies, des cartes et des séquences vidéo, au sujet du mouvement pour les droits civils au Etats-Unis entre 1954 et 1968. Dans le terme "textes" sont compris les documents-sources (documents d'archives).
A côté du contenu lui-même, l'application contient différentes structures et outils de navigation permettant d'accéder le plus efficacement possible aux différents points de vue sur les événements. Le but des concepteurs étant non seulement de permettre l'orientation de l'utilisateur à tout moment, mais aussi d'offrir à ce dernier des accès multiples au matériel disponible.
Le matériel est classé en 4 sections: People, Places, Events, Viewpoints. La section people contient, pour chaque personnage-clé, une biographie, des images et des écrits le concernant. La section places est accessible à travers une carte générale et propose des informations sur les différents lieux. La section events décrit 45 événements-clés du mouvement. Enfin, la section viewpoints propose des commentaires de nombreuses personnalités sur les événements en question.
La structure des relations est la suivante: les liens sont établis d'une part avec des hotwords, d'autre part par des renvois plus contextuels au moyen d'icones de navigation. L'idée étant toujours d'approcher un sujet sous plusieurs angles en "entrecroisant" les représentations. La fonction de ces outils est différente: les hotwords complètent l'information présente à l'écran en précisant un point ou une notion, alors que les renvois proposés par les icones sont plus généraux (liste d'événements, de personnes, de lieux et de réflexions se rattachant à la question étudiée). Comme précisé, l'utilisateur a encore accès à des documents-sources et à des séquences vidéo à tout moment, permettant de re-situer les événements en contexte. L'articulation de ces représentations permettant en second lieu de faire saisir aux apprenants le processus d'élaboration de la pensée historique.
L'expérience a débuté en mai 1993 avec des élèves d'une école publique du Vermont, âgés de 12 à 14 ans. Ceux-ci ont exploré l'application par groupes de 3-4 durant une période d'une heure trente; leur interaction avec le système a été enregistrée au moyen d'une vidéo et les élèves ont été interrogés avant et après la session. Dans les deux cas, ils ont été interrogés sur la notion de "droit civil", sur ce qu'ils savaient à ce sujet en général et sur la signification, à leurs yeux, du mouvement pour l'obtention de ces droits. De plus, il leur a été demandé, à partir d'un support imprimé présentant une série de termes (12), d'identifier des notions et d'établir des liens entre elles.
En résumé, les résultats des tests (effectués avant et après), montrent que les élèves ont une conception beaucoup plus claire du mouvement pour les droits civils et que ce mouvement est plus significatif pour eux après l'utilisation du logiciel; l'auteure ne précise cependant pas si (ou quand) un cours spécifique leur a été dispensé préalablement sur la question. K. Swan insiste sur l'intégration de la vidéo qui aurait un impact notamment sur la mémorisation des notions présentées en offrant un support visuel facilitant le rappel (les élèves se souviennent d'une image qui évoque une série de notions).
Concernant l'analyse des questionnaires, on constate que le nombre de termes reconnus avant et après l'utilisation du logiciel varie peu (la moyenne de 4,9 passe à 6). Cependant, les liens établis augmentent de manière significative (de 1 à 3). Ce qui indiquerait que le but de rapprochement entre diverses informations et l'entrecroisement des notions a été atteint.
D'une façon générale, on peut regretter que l'auteure n'ait pas plus insisté sur la description de la méthode utilisée au cours de l'expérience; les résultats présentés en termes de chiffres sont minces; il aurait été intéressant d'avoir une comparaison entre différentes situations d'expérience (sans l'application, en groupe avec l'application, individuellement avec l'application, etc.).
L'auteure constate que ce type d'application est à même de supporter le développement de la pensée historique chez les étudiants concernés. Elle insiste sur le fait que la structure d'un hypermédia permet une compréhension "riche" d'une question historique en autorisant de nombreux croisements de perspectives à partir d'un seul support, alors qu'il est beaucoup plus difficile d'obtenir un résultat semblable dans un court laps de temps à l'intérieur d'un enseignement traditionnel (difficulté d'associer simultanément divers types de documents et de représentations). La présence d'images en général favoriserait la mémorisation des différentes notions par les élèves en constituant un support propice au rappel.
Il faut noter, enfin, que le cumul des différents types d'information à l'intérieur d'une application multimédia (qui peut être vu comme un défaut créant une surcharge cognitive) est exploitable de la façon décrite ci-dessus et est même particulièrement adapté à l'enseignement d'une question historique pour les raisons vues précédemment. De plus, le croisement de différents supports d'information (image, texte, vidéo) est propice à l'organisation et la mémorisation des différentes notions abordées.