Les représentations propositionnelles


Extrait du livre :

Psychologie cognitive, Rui Da Silva Neves, Armand Collin, collection : Psychologie.

 

  I.   LA NOTION DE PROPOSITION :

  A.   La notion logique de proposition :

De manière générale, la psychologie cognitive, à l'instar d'autres sciences cognitives comme l'intelligence artificielle et la linguistique, a emprunté de nombreux concepts et représentations (artificielles, au sens défini plus haut) à la logique. Parmi ces emprunts, figure la notion de proposition. Au sens logique du terme, une proposition est une expression construite sur la base de règles de syntaxe définies dans un certain langage. Par exemple, soit p et q deux propositions élémentaires, et " ou " un connecteur défini dans le langage de " la logique des propositions " (LP). Les règles de syntaxe de cette logique permettent d'écrire (et d'en déduire) la nouvelle proposition p ou q. La sémantique d'une proposition est donnée par les deux seules valeurs : " Vrai " (1) et " Faux " (0), appelées " valeurs de vérité ". Tout ce qu'on peut dire d'une proposition (simple ou complexe) est donc qu'elle est soit vraie, soit fausse. En LP, les propositions sont " inanalysées ". Ceci signifie qu'une proposition comme " Annie aime les sucettes " ne peut pas être décomposée en propositions plus petites. La LP semble donc particulièrement limitée dans la perspective de modéliser le langage naturel. Ces limites sont toutefois réduites (mais pas dépassées) dans le cadre de la " logique des prédicats du premier ordre ". Par rapport à la LP, la logique des prédicats introduit (notamment) les concepts d'argument (" Annie " et " Sucette " dans notre exemple) et de prédicats (" Aimer "). Les prédicats jouent le rôle de propriétés ou de relations appliquées aux arguments. Sous forme prédicative, notre proposition s'écrira: AIMER (Annie, Sucette).
En psychologie cognitive, les partisans d'un codage prépositionnel de l'information en mémoire, considèrent que toutes nos connaissances déclaratives (épisodiques et sémantiques) sont stockées sous la forme de propositions dont les unités de base sont des couples prédicat/argument.

  B.   La distinction entre traits et attributs sémantiques :

Un trait est une propriété qui ne peut prendre que deux valeurs: présente ou absente. La propriété " noir " est un trait. Lorsqu'une propriété peut prendre plusieurs valeurs qui ne se réduisent pas à présent/absent, on parle "d'attribut". La propriété "couleur" est un attribut. Dans de nombreux modèles psychologiques (de la caté- gorisation, par exemple), les traits et les attributs sont des primitives sémantiques .

  II.   REPRÉSENTER DES CONCEPTS :

  A.   La structure prédicative: un faux candidat :

En dépit de son intérêt, la notion de proposition, telle que définie ci-dessus, parait bien pauvre avec sa sémantique en "Vrai " ou " Faux " dans la perspective de représenter des concepts. Savoir que la proposition "BLEU (Maison) " est vraie ne nous dit pas grand chose sur ce que représentent les concepts de " bleu ", de " maison ", et l'ap- plication du premier au second. Posons-nous la question de savoir pourquoi cette proposition prend du sens pour nous. On peut considérer tout d'abord que c'est parce que les concepts " bleu " et " maison " sont fortement associés dans nos mémoires (si l'on est de culture française et que l'on connait le répertoire de Maxime Le Forestier). Toutefois, il n'est pas intuitivement suffisant que deux traces mnésiques soient associées en mémoire pour qu'elles prennent du sens pour nous. Ainsi, nous avons tous en mémoire une association entre les termes de " physique " et de " nucléaire ", mais cela ne nous suffit pas pour avoir une représentation précise et correcte de ce qu'est la physique nucléaire. En fait, le sens semble émerger des relations nombreuses et diverses qui se forment entre traces mnésiques dans des contextes particuliers. Ces traces peuvent encoder les propriétés phonologiques d'un mot, des sensations, des émotions... qui jouent des rôles très importants dans les processus de construction des représentations en mémoire. Ces traces mnésiques peuvent être de complexités différentes. Dans l'approche symbolique classique, la proposition (sous sa forme prédicative) est considérée comme la plus petite unité de connaissance signifiante, mais elle ne permet pas, à elle seule, de représenter un concept de manière satisfaisante.

  B.   Mais qu'est-ce qu'un concept ?

Dans son sens le plus classique en psychologie, un concept désigne une représentation mentale d'une classe simple d'objets, par exemple, le concept de " table ", le concept de " concept ". Medin et Snùth (1984) distinguent trois principales conceptions concurrentes de la représentation d'un concept : la conception " classique ", la conception " probabiliste ", et la conception basée sur des " exemplaires ".

  a.   La conception classique :

Dans la conception classique, les concepts (des arguments) sont définis en référence à un ensemble fini de propriétés (des prédicats) jugées nécessaires et suffisantes pour pouvoir juger de l'appartenance d'un élément à une classe représentée par le concept (il est à noter qu'on utilise le plus souvent indifféremment les notions de classe " et de " catégorie "). Cette conception est l'héritière de la théorie des ensembles classiques ", dans laquelle un objet peut seulement appartenir ou ne pas appartenir à un ensemble. Il existe une correspondance étroite entre cette théorie et la logique des prédicats du premier ordre, et il est, bien entendu, possible de représenter un ensemble par les propriétés de ses éléments (on appelle ceci " l'intension " d'un ensemble) en logique des prédicats.

  b.   La conception probabiliste :

Dans la conception probabiliste, on fait également référence à des ensembles de propriétés, mais ces ensembles possèdent une certaine " élasticité ", c'est-à-dire qu'il existe des propriétés plus ou moins caractéristiques de la classe, et qu'il est plus ou moins probable que des objets possédant certaines de ces propriétés appartiennent à la classe. Cette conception est à rapprocher de (mais ne se confond pas avec) la théorie des sous-ensembles flous de Zadeh (1965) dans laquelle l'appartenance d'un élément à un ensemble est définie par une fonction floue d'appartenance qui prend ses valeurs dans l'intervalle [0, 1 1, où " 0 " représente l'exclusion, " 1 " l'inclusion, et les valeurs intermédiaires différents degrés d'appartenance. Par exemple, soit l'ensemble des villes proches de Paris : pour la ville de Versailles, la fonction floue d'appartenance prend la valeur 1 ; pour la ville d'Orléans, une valeur intermédiaire entre 0 et 1 ; et pour la ville de New York, la valeur 0.

  c.   Une conception des "exemplaires" :

Dans la conception des exemplaires, on ne considère pas que les concepts sont représentés en mémoire par des ensembles de propriétés bien déterminées ou probabilistes, mais que les concepts peuvent être représentés par un ou plusieurs exemplaires "remarquables " (Rosch, 1973), parfois appelés des prototypes, dont les propriétés sont comparées avec celles des objets dont on veut savoir s'ils appartiennent ou non à la catégorie représentée par le concept (voir Cordier, 1993, pour une présentation détaillée).

  III.   LES STRUCTURES CONCEPTUELLES COMPLEXES :

  A.   Les réseaux sémantiques :

L’idée que l'information peut être représentée en mémoire sous la forme d'associations de propositions conduit assez naturellement à celle de "réseaux propositionnels".
Dans cette approche, les symboles sont associés à des " nœuds " et entretiennent entre eux des relations représentées par des " arcs ". On construit ainsi des structures au sein desquelles la signification d’un concept ou d’une situation est décrite par l’ensemble des relations entretenues par le nœud auquel est associé le symbole représentant le concept. Deux relations sont utilisées pour structurer les réseaux : la relation " partie-tout " (par exemple tête – oreille ) et la relation "d’inclusion de classe " ( exemple, le corbeau est une sorte d’oiseau). Les manipulations de symboles sont réalisées par des règles syntaxiques d’un haut niveau de généralité qui spécifient les modalités d’exploration (et de réponse) du réseau lorsqu’une requête est formulée.

  B.   Les schémas :

  a.   Des prototypes d'événements ou de situations :

Nos connaissances déclaratives complexes ne consistent pas seulement en concepts dont la signification émerge de l'activation de prototypes dans des réseaux sémantiques et de la diffusion de cette activation dans des branches connexes. Elles consistent également en connaissances -utilisables, à l'occasion, pour spécifier des concepts- qui décrivent des classes de situations structurées ou des situations types plutôt que des classes d'objets. Par exemple, nous avons une représentation précise et bien délimitée de la situation type " prendre le train ", ou " aller au restaurant ". Ces représentations sont des prototypes auxquels on donne le nom générique de schémas.

  b.   Les propriétés distinctives des schémas :

Le concept de schéma a d'abord été introduit en psychologie par Bartlett (1932), mais c'est au milieu des années 1970 que plusieurs publications dans les champs de la psychologie cognitive et de l'intelligence artificielle ont consacré l'approche des schémas pour la représentation de connaissances de niveaux " supra-phrastiques ", c'est-à-dire de niveaux supérieurs à ce qui est exprimé dans la phrase, ou dans les unités constitutives de la phrase.
Rumelhart et Norrnan (1983) décrivent cinq caractéristiques principales des schémas :

· les schémas comportent des variables ayant une valeur par défaut. Les valeurs des variables peuvent être des personnages types (les policiers et le contrevenant dans un excès de vitesse constaté) et des objets types (le procès verbal) .

· les schémas peuvent s'enchâsser (s'emboiiter) les uns dans les autres (les policiers peuvent être décrits à partir d'un schéma de l'uniforme) .

· les schémas peuvent représenter des connaissances à tous les niveaux d'abstraction (le schéma de la mise en route d'un moteur est plus concret que celui de l'induction d'un courant électrique par l'alternateur dans ce moteur).

· les schémas représentent des connaissances plutôt que des définitions.

· les schémas sont des dispositifs actifs de reconnaissance, dont la mise en oeuvre a pour but l'évaluation prospective des données en cours de traitement.

La psychologie sociale est un champ de la psychologie où il est fait un usage important de la notion de schéma, en particulier pour l'explication des processus d'attribution. Kelley (1973) a, par exemple, avancé que les individus activent des schemas pragmatiques d'inférences causales. Les schémas causaux réfèrent à la façon dont un individu appréhende le système de relations qui existe entre des causes possibles et un effet, et permettent de faire des attributions à partir d'une quantité limitée d'information.

  C.   Les scripts et les plans :

Plusieurs autres termes ont été utilisés dans la littérature pour nommer les schémas. Minsky (1975) a utilisé le terme de " cadre " frames) et Schank et Abelson (1977) ceux de " script " (appelé aussi " scénario "), de " plan ", de " MOP " (pour Memory Organization Packets) et de " TOP " (pour Thematic Organisation Packets). Dans la perspective de Schank et Abelson (1977), un script est une structure qui décrit une séquence type d'événements dans des contextes sociaux particuliers. Les scripts sont donc déteminés par la culture d'appartenance. Ils jouent un rôle important dans les activités de compréhension car on peut, grâce à eux, reconstruire l'information implicite dans des textes ou des discours. Par exemple, sachant que Leila est allée hier soir au restaurant, grâce au script du restaurant, on peut inférer qu'elle a rencontré des personnes (le personnel), qu'elle a mangé hier soir, qu'elle a dépensé de l'argent. Les plans, les Mops et les Tops recouvrent des classes de schémas de niveaux de généralité différents par rapport aux scripts. (voir Schank, 1982).

Bibliographies :

- CORDIER F., 1993, Les représentation cognitives priviligiées, PUL.

- Rui Da Silva Neves, Psychologie cognitive, , Armand Collin, collection : Psychologie.


27.03.2000