Workshop RH24 : "Interaction individu-entreprise : la gestion des conflits"

Professeur : A. Munari. Invité : Dr G.Salem

Catherine Roulet - TECFA, diplôme STAF - 2ème année

 

 

 

Remarque préalable : La situation décrite ci-après bien que vraisemblable est totalement fictive. Mon but est de mettre en lumière les différentes étapes du travail d'un consultant appelé à résoudre un conflit de ce type. Les réactions des protagonistes sont celles qui sont théoriquement attendues. Dans la réalité, la résolution du conflit ne sera donc pas forcément aussi simple, ce qui peut évidemment modifier le nombre de séances effectives.

Le modèle d'intervention utilisé dans ce travail est le modèle systémique présenté par le Dr. Salem lors de son exposé des 2 et 3 février 2000 dans le cadre du workshop " Interaction individu-entreprise : la gestion des conflits" proposé par le professeur Munari.

La situation :

Nous nous trouvons à la rédaction d'un grand quotidien. Il faut remplacer le chef de la rubrique économique qui est appelé à d'autres fonctions. Un des journalistes de la rédaction (appelons-le Bob) se sent légitimement le mieux placé pour reprendre le poste. En effet, il travaille depuis de nombreuses années pour le journal et a, de plus, une grande expérience de la rubrique.

Arrive, fort à propos, un autre journaliste revenu de Moscou (appelons le Frank) où il était le correspondant pour le journal. C'est aussi un ami du rédacteur en chef. Cette personne vient travailler quelque temps au journal en tant que journaliste à la rubrique économique. Un jour, des rumeurs commencent à circuler sur son compte : il serait pressenti pour le poste à repourvoir.

Quand les rumeurs se confirment, Bob se sent évidemment très décu de cette situation. Sa frustration est telle qu'il commence à ressentir de la haine pour la personne qui lui vole "son" poste. Il se met à critiquer cette personne devant ses collègues, dans le but de la discréditer. Des groupes se forment dans la rédaction : ceux qui apprécient le nouveau venu et acceptent sa nouvelle fonction et ceux qui se rangent du côté de Bob.

Le rédacteur en chef (appelons-le Yvan) sent son autorité remise en cause, car les partisans de Bob commencent à le prendre à parti, le tenant pour responsable de la situation. Frank de son côté s'isole de ses collègues de la rédaction et se rapproche de son ami le rédacteur en chef.

La situation s'envenime de plus en plus. La décision est alors prise defaire venir un consultant extérieur. En effet, la personne responsable des ressources humaines préfère réguler le conflit par le biais d'une personne n'ayant aucun lien avec la rédaction, elle craint de ne pouvoir travailler efficacement, car trop impliquée personnellement. Il faut savoir que bien qu'il existe bel et bien des rapports hiérarchiques dans cette entreprise de taille relativement restreinte, les relations entre les gens sont plus détendues que dans d'autres milieux. Le tutoiement y est fréquent et se pratique même entre un chef de rubrique et un simple journaliste.

Bob et Frank sont conscients que la situation pourrait dégénerer jusqu'à la perte de l'emploi de l'un ou l'autre, ils acceptent donc de rencontrer le consultant.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LE TRAVAIL DU CONSULTANT :

a) Analyser le conflit

Il faut tout d'abord que le consultant comprenne bien comment est organisé le travail à la rédaction. Il peut se renseigner auprès de la personne responsable des ressources humaines.

Voici comment sont organisées les équipes responsables de la production du contenu du journal : le rédacteur en chef est assisté de plusieurs chefs de rubriques (rubrique internationale, rubrique nationale, rubrique économique,...), les journalistes travaillent en général pour l'une de ces rubriques, les stagiaires journalistes ne sont affiliés à aucune rubrique en particulier, ils travaillent pour chacune pendant une période afin d'avoir une vue d'ensemble de la profession. Il y a aussi les pigistes qui sont payés à la ligne et qui écrivent de petits articles ponctuels.

b) Réguler le conflit

Notre consultant va tenter de réguler le conflit au moyen du modèle systémique :

Première entrevue : Alliance et élucidation

Sont présents : Bob, Frank et le consultant

Le consultant invite Bob et Frank à s'asseoir sur des sièges placés l'un à sa gauche, l'autre à sa droite. Lui-même recule un peu son siège de manière à former un triangle. De cette manière, il pourra s'adresser à l'un et à l'autre sans tourner le dos à aucun des deux.

Le consultant commence par expliquer brièvement la raison de sa présence et ce qu'ils vont essayer de faire ensemble au cours des séances à venir.

Il invite ensuite Bob à expliquer comment il a vécu le dernier mois, à exprimer ses sentiments.Bob débute son récit de manière très agressive. On comprend cependant bien qu'il se cantonne dans un rôle de victime, ce qui le pousse à adopter une attitude uniquement défensive qui mobilise une grande quantité d'énérgie négative.

C'est ensuite au tour de Frank de s'exprimer. Lui, se positionne également en victime, mais plutôt comme victime d'une injustice. Il est clair qu'il se sent dans son bon droit. Le consultant lui demande alors de parler un peu plus de son parcours professionnel. Au cours du récit, le consultant se tourne ponctuellement vers Bob pour lui poser des questions ou lui demander de confirmer tel ou tel point. Ces interventions ont pour but de vérifier son attention et de garder toujours le contact.

Le témoignage de Frank nous apprend alors que lorsqu'on lui a proposé le poste de correspondant à Moscou quelques années auparavant, lui-même n'était pas très emballé par l'idée de partir à l'étranger pour y travailler. Mais il venait de terminer son stage de journalisme et aucun autre poste n'était disponible. Après cinq ans, le journal n'ayant plus les moyens d'avoir un correspondant à plein temps à Moscou, on lui avait proposé de revenir travailler en Suisse, il avait donc monnayé son retour et obtenu la garantie de reprendre le poste de chef de la rubrique économique.

Au cours du témoignage de Frank, le consultant prend la même posture que celle de Bob, le corps légèrement tourné vers lui, afin de lui montrer qu'il reste en contact avec lui, même s'il se concentre sur le récit de Frank. Le consultant avait fait de même auparavant à l'égard de celui-ci.

Le consultant clos cette première série de témoignages en faisant un bref résumé des positions respectives. Il s'adresse à chaque fois à la personne concernée et en lui demandant de confirmer ses dires. Il invite ensuite Bob et Frank à exprimer leurs sentiments après avoir entendu chacun le récit de l'autre. Il s'avère notamment que Bob ne connaissait pas tous les détails du parcours professionnel de Frank et qu'il comprend mieux maintenant pourquoi on lui a proposé le poste. Il reste cependant sur ses positions. De son côté, Frank est visiblement abasourdi par le témoignage de Bob: il n'avait pas, jusqu'à maintenant, saisi toutes les implications de sa nomination.

A cette étape des discussions, la situation s'est légèrement détendue et les deux protagonistes commencent à se regarder et à se parler. La tension entre les deux hommes est cependant encore palpable : les regards sont fuyants et les phrases sèches et très brèves.

Le consultant propose de fixer une deuxième entrevue la semaine suivante.

Deuxième entrevue :l'élucidation (suite)

Sont présents : Bob, Frank et le consultant

Au début de l'entretien, le consultant demande à Bob et à Frank de lui raconter comment s'est passée la semaine. Les réponses des deux protagonistes montrent qu'ils restent encore chacun sur une position défensive. On sent qu'ils ont peur l'un et l'autre de se retrouver perdants s'ils faisaient la moindre concession.

Pour déplacer l'attention des deux hommes et détendre un peu l'atmosphère, le consultant change soudain de sujet et commence à donner son avis sur le nouveau "look" du journal. L'avis qu'il exprime étant très négatif, Bob et Frank ne peuvent s'empêcher de défendre leur quotidien. Ce débat les oblige à se rappeler qu'ils font partie d'une équipe et qu'ils sont attachés à leur travail.

Toutes les parties ayant exprimé leur opinion, le consultant propose de reprendre la discussion qui les occupait précédemment. Il leur demande alors s'ils ont l'un ou l'autre imaginé les possibilités de modifier la situation actuelle afin qu'elle tourne à l'avantage des deux. Visiblement, cette remarque désarçonne les deux hommes qui restent sans voix. On sent cependant une complicité naissante venir alléger la tension qui était encore palpable peu de temps auparavant.

Le consultant propose de programmer une troisième séance deux jours plus tard, le temps de laisser les deux hommes réfléchir à la question.

 

La stratégie du consultant :

En discutant avec Bob et Frank lors de ces deux premiers entretiens, le consultant va créer une alliance avec ces deux personnes en leur montrant qu'il respecte leur prosition respective. Il va utiliser la fonction phatique du langage parlé et du langage corporel pour renforcer le message qu'il veut faire passer.

En leur faisant faire de la métacommunication (les faire réfléchir d'abord sur leur manière de communiquer entre eux, puis sur une possibilité de modification de leur comportement), le consultant les a amené à relativiser les rôles de victimes (one-down) qu'ils avaient endossé. Ils ont pu chacun voir l'autre sous toutes ses dimensions (humaine et professionnelle) et effacer la projection que chacun s'était fait de l'autre. La métacommunication fait partie de la démarche d'élucidation.

Demander aux deux hommes de réfléchir sur ce qu'il faudrait changer à la situation actuelle, donc à leur comportement respectif, pour la rendre acceptable à tous les deux, introduit déjà une intervention de type "directive" que nous verrons lors de la séance suivante.

Troisième entrevue : Les directives

Sont présents : Bob, Frank et le consultant

Pour débuter la séance, le consultant demande aux deux hommes s'ils ont des propositions permettant de modifier la situation bloquée actuelle. Un silence embarrassé s'installe.

Le consultant continue alors la séance en s'adressant à Bob en particulier. Il lui demande de lui raconter comment se passe une séance du matin à la rédaction, si l'ambiance est propre au développement d'idées nouvelles, et dans ce cas si celles-ci ont des chances d'aboutir. Bob répond alors par l'affirmative et une étincelle furtive apparaît dans son regard. Le consultant continue alors sur cette lancée et questionne Bob sur ses idées concernant un développement possible de la rubrique économique du journal. Bob commence alors à parler d'une idée qu'il avait eue quelques mois auparavant, mais qu'il avait gardée pour lui car son énérgie était tout entière dirigée sur ses ressentiments. Son récit fait progressivement naître un dialogue entre Bob et Frank. Celui-ci commence à argumenter, mais son attitude est assez ouverte. On sent alors qu'un projet pourait voir le jour et que Frank est tout à fait prêt à donner quelques responsabilités à Bob. De son côté, Bob semble maintenant plus prêt à accepter l'autorité de Frank.

Pour clore la séance, le consultant demande à Bob et à Frank de travailler ensemble sur l'idée de Bob. La séance suivante (programmée la semaine d'après) sera axée sur ce projet et le rédacteur en chef, avec l'accord des deux hommes, y sera également convié.

La stratégie du consultant :

En proposant à Bob de parler de ses idées de développement de la rubrique, le consultant réalise là une intervention de type "directive", il l'incite à "faire quelque chose" pour l'aider à sortir de la situation dans laquelle il s'était mise. Il s'agit ici d'une directive "ouverte": en effet, le consultant demande à Bob et Frank une action en cohérence avec le but fixé. Cela permet à Bob de changer son trop plein d'énergie négative en énergie positive sur un projet motivant. Le consultant a fait renaître le dialogue entre les deux hommes et ils sont maintenant devenus partenaires unis pour le bien du journal. Frank se sent soulagé. Son poste n'étant plus remis en cause, il est prêt à collaborer avec Bob.

Il est clair que les changements d'attitude de la part des deux protagonistes ont été très rapides d'après ma description. Selon le caractère des deux hommes, cela peut bien sûr prendre plus de temps ou se passer différemment. Je montre ici surtout la démarche du consultant qui me semble être vraisemblable.

Quatrième entrevue : Le modeling

Sont présents : Bob, Frank, le rédacteur en chef et le consultant

Le consultant invite Bob et Frank et le rédacteur en chef (appelons-le Yvan) à s'asseoir, il a l'intention d'observer comment les protagonistes se placent spontanément. Quatre sièges sont disposés selon un demi-cercle. Bob et Frank s'assoient côte à côte sur deux sièges placés à une extrémité du demi-cercle. Yvan s'assied à l'autre extrémité, laissant le consultant s'installer au centre.

Le consultant fait une brève introduction dans laquelle il présente la situation actuelle dans ses grandes lignes. Il invite ensuite Yvan à s'exprimer sur son travail en tant que rédacteur en chef, sur ses difficultés, mais aussi sur la manière dont il conçoit la collaboration de tous les membres de l'équipe de rédaction. Il est ensuite incité à parler de Bob et de Frank, de la façon dont il les apprécie dans leur travail.

Bob et Frank sont ensuite invités à parler directement à Yvan au sujet du projet qui leur tient à coeur et sur lequel ils ont travaillé durant la semaine qui vient se s'écouler. La complicité entre les deux hommes est palpable et la discussion qui s'ensuit est des plus animée. Yvan montre une grande ouverture, visiblement heureux de voir que les tensions se sont dissipées. Il n'accepte pas le projet tel quel, mais se dit tout à fait prêt à en discuter avec toute l'équipe de rédaction lors de la séance du lendemain.

La stratégie du consultant :

En demandant au rédacteur en chef de venir se joindre au petit groupe pour la quatrième séance, le but du consultant était de permettre au chef de l'équipe de rédaction de retrouver une crédibilité (en montrant son humanité) et de réaffirmer son autorité en lui donnant l'occasion de se prononcer sur le projet commun de Bob et Frank. Il propose aux deux hommes de discuter avec toute la rédaction de leur projet, ce retour du dialogue général va permettre de ressouder l'équipe. On appelle ce type d'intervention le "modeling" : le consultant utilise les mécanismes d'identification, il les reporte sur le rédacteur en chef. Celui-ci affirme sa position hiérarchique et montre une ouverture au dialogue, Bob et Frank vont l'imiter et jouer également ce jeu.

Il est clair que là aussi, les protagonistes, notamment Yvan, ont joué très rapidement le jeu. Si le rédacteur en chef n'avait pas compris très vite l'attitude à adopter, le consultant aurait alors dû intervenir beaucoup plus.

L'évaluation :

La situation semblant avoir suffisamment évolué, le consultant peut constater les changements intervenus dans le comportement des protagonistes. Les attitudes physiques sont en général très révélatrices des relations qu'entretiennent les personnes. Dans le cas qui nous occupe, on observe que l'agressivité de départ s'est dissipée, Bob et Frank ont une attitude très ouverte l'un par rapport à l'autre : ils ne croisent plus les jambes ni les bras, ils sont penchés légèrement l'un vers l'autre. Yvan, lui, joue son rôle de chef, il se tient un peu en retrait et garde sa tête bien droite. Son regard est cependant très bienveillant.

Le consultant va, à ce stade, terminer son intervention. Il félicite les protagonistes d'avoir réussi à trouver un terrain d'entente et dit se réjouir de voir les développements futurs du journal.

 

Catherine Roulet - Mars 2000