Étude des techniques de collaboration entre individus dans un environnement virtuel |
Université de Genève
Faculté de Psychologie
Cette expérience a pour but de mieux comprendre quels sont les processus qui entrent en jeu dans la collaboration entre deux individus au sein dun environnement virtuel, ainsi que de déterminer comment lajout dun mémo informatique (grâce auquel il est possible à la fois de stocker et de se transmettre des informations, indépendamment de lenvironnement virtuel dans lequel se déroule lexpérience), le whiteboard, peut participer à la relation entre les connaissances de bases des sujets et la résolution de problème.
Dans cette expérience, lénigme consiste en un meurtre commis dans une auberge. Les sujets, qui passent lexpérience par paires, se trouvent dans deux pièces différentes sur deux ordinateurs, et, en ne communiquant ensemble que grâce à leurs ordinateurs, ils doivent trouver conjointement qui est le meurtrier et quel est son mobile. Ils peuvent pour cela se déplacer dans chacune des pièces (virtuelles) de lauberge, regarder un certains nombre dobjets et interroger chacun des 11 suspects qui se trouvent à lintérieur. Lexpérience se termine lorsque les sujets considèrent quils ont trouvé la solution.
Les sujets de lexpérience présentée ici navaient pas de whiteboard commun et devaient se contenter dun whiteboard personnel pour stocker leurs informations, lexpérience avec whiteboard commun ayant déjà été faite antérieurement. Lanalyse des résultats consiste en une comparaison des résultats de cette expérience avec les résultats déjà obtenus au cours de celle avec les paires disposant du whiteboard commun.
Sur les 5 paires de sujets qui ont passé lexpérience sans whiteboard commun, 3 paires ont trouvé la solution, ce qui est comparable aux résultats obtenus avec le whiteboard commun. La durée de lenquête a cependant été légèrement plus longue pour les sujets qui ne stockaient pas leurs informations en commun.
Lanalyse des interactions entre les enquêteurs montre de façon très nette que ceux qui navaient pas de whiteboard commun se sont transmis beaucoup plus de faits que les autres par lintermédiaire de lenvironnement virtuel à disposition, et ce principalement au détriment des interactions ayant trait aux suppositions, aux hypothèses ou à lorganisation de lenquête.
Ceci est explicable par le fait que, dans lexpérience avec whiteboard commun, les sujets pouvaient en une seule fois transmettre linformation à leur partenaire et la stocker, en lécrivant dans le whiteboard. On peut donc facilement supposer que la plupart des faits quils ont eu à transmettre se sont fait par cet intermédiaire, et quils ont plutôt réservé lenvironnement virtuel à la formulation de leurs interprétation et de leurs hypothèses.
Pour les sujets qui navaient pas cet outil, le seul moyen de se transmettre les informations que leur avaient donné les suspects étaient de les envoyer par lintermédiaire de lenvironnement virtuel.
Il est très intéressant de relever que cette analyse a montré aussi que les sujets qui ne disposaient pas du whiteboard commun ont eu un taux dacknowledgment largement supérieur à celui de lensemble des autres paires, et quils ont fait en moyenne deux fois plus dinteractions par minutes que les autres sujets... Ceci peut aussi être imputable au fait que, lorsque le stockage des informations était commun, il suffisait décrire quelque chose sur le whiteboard pour savoir que le partenaire lavait vu. En labsence de whiteboard commun, il fallait, après avoir transmis une information, vérifier que le partenaire avait bien compris ce qui lui avait été transmis et quil lavait noté dans un coin de son whiteboard.
En conclusion, on peut donc dire que le whiteboard a bien joué son rôle doutil à la collaboration pour ceux qui en disposaient. Il leur a évité un grand nombre dinteractions inutile et de travail double (écrire une information à son partenaire, puis lécrire dans son whiteboard). Cependant, même si labsence de whiteboard a joué un rôle sur le temps de lexpérience et le type dinteraction, il nest pas certain quil est vraiment interférer sur la résolution ou non de lénigme.
De nos jours, on dirait que plus personne ne sait encore vraiment communiquer. Daprès les experts de notre époque, tous nos ennuis découlent de problèmes de communication: problèmes de communication entre parents et enfants, problèmes de communication entre maris et femmes, problèmes de communication entre employés dune même entreprise... Une meilleure communication se présente donc comme la panacée à tous nos soucis.
Mais communiquer, ce nest pas seulement aligner des mots les uns après les autres... Communiquer présuppose tout dabord que les personnes aient une compréhension et une connaissance commune de ce qui est mutuellement reconnu, de tout ce quelles partagent socialement. Cest ce quon appelle lintersubjectivité, et cela peut se résumer au fait que différents individus inventent les mêmes réponses à un problème donné. Cette intersubjectivité est un point central dans tout ce qui touche non seulement la communication dinstruction, mais aussi la communication en vue de la résolution dun problème, comme ce sera le cas dans lexpérience qui va suivre.
En effet, le fait de vouloir résoudre un problème de manière commune via un médiateur (ordinateur, moo) comme cest le cas ici présuppose que les deux individus se comprennent bien et quils usent des mêmes lois sur le savoir (ou lois interpersonnelles). Ils doivent joindre leur savoir pour construire un système cognitif commun de nature unitaire même sil comprend les pensées des deux individus. Spécifiquement, la résolution conjointe de problème consiste en deux activités. concurrentes: résoudre le problème ensemble, et construire un espace commun de problème. Ces deux activités cohabitent nécessairement (J. Roschelle & S. D. Teasley, 1995). En dautres termes, même sils sont deux, leur travail ne doit pas être partitionné et localisé individuellement. Selon Charles Crook (1994), la présupposition et lexploitation de la connaissance commune est une base nécessaire à la communication.
Cest en fait daprès de nombreux auteurs la qualité de ce système cognitif unitaire qui garantit par la suite une communication efficace entre les différents partenaires.
Auparavant, les dimensions du temps et de lespace étaient plus ou moins limitées, mais lavènement de la photo, de la radio, du téléphone et de la télévision ont complètement redéfini nos notions du temps et des distances. Enfin, ces dernières années, les ordinateurs ont complètement transformé notre concept de linformation, notre capacité à interagir avec et à la manipuler: cest à partir de là que les environnements informatiques ont émergés comme un nouveau médium puissant pour la communication aussi bien avec dautres ordinateurs quavec dautres gens.
La communication médiatisée par ordinateur regroupe un large éventail de fonctions dans lequel les ordinateurs sont utilisés afin de servir de support à la communication entre des humains. Cela inclut donc les courriers électroniques, les systèmes de conférence on-line, les Usenet, les systèmes interactifs de type chat. Dans ces cas précis, lordinateur sert essentiellement de médiateur entre des personnes plutôt que de processeur dinformations.
Le système de type conversation interactive comme les Chat est le plus proche de la communication verbale, dans la mesure où la plupart des règles de communication, comme les tours de paroles, sont respectées. Cependant, dans la mesure où il est moins rapide de taper les phrases sur un clavier que de les dire oralement, il y a forcément un certain nombre dabréviation et de raccourcis propres au contexte qui se créent. De même, les interlocuteurs virtuels ne pouvant pas se voir réellement, ils inventent un certains nombre de symboles pour exprimer les émotions associées aux messages (smileys). Il se crée donc aussi de nouvelles règles de communication, directement liée à la manipulation de loutil qui sert à communiquer.
Mais ce qui nous intéresse ici, au delà de la communication, cest plutôt un mode différent dinteraction humaine: la collaboration.
Selon J. Roshelle et S. D Teasley (1995), la collaboration peut se définir comme une activité coordonnée, synchrone, qui est le résultat dun essai continu et qui maintient une vision partagée de la conception dun problème. Il est donc excessivement dur détudier la collaboration entre les individus, car cest une activité dont les limites ne sont pas fixes. Cest pourtant lun des comportements humains qui se révèle comme étant lun des plus importants, et qui mériterait donc dêtre plus étudié.
Pour rendre la collaboration vraiment effective, il est nécessaire de mettre en place un certain nombre doutils qui facilitent la communication entre des individus qui doivent collaborer ensemble. La qualité et la quantité de collaboration dépend aussi beaucoup des outils utilisés pour la créer, doù limportance de trouver des nouvelles techniques, des nouveaux outils qui facilitent cette collaboration dans le domaine des nouveaux médias de communication. On ne peut oublier le fait que la technologie peut servir aussi bien de barrière que doutil à la collaboration (M. Schrage, 1990)
En effet, le plus difficile à ne pas perdre de vue est le fait que ces nouveaux outils doivent servir lensemble dun groupe qui doit collaborer et non pas chacun des individus de ce groupe séparément.
Doù cette analogie de M. Schrage (1990) avec ce qui se passe dans la cabine de pilotage dun avion : en faisant trop attention à qui fait quoi dans le cockpit, on programme de plus en plus pour des tâches individuelles et non pour des tâches déquipes. Cest dans un exemple comme celui-ci, où les conséquences dune mauvaise communication pourraient savérer catastrophiques, que lon comprend mieux à quel point il est important de mettre au point des outils vraiment efficaces pour permettre aux différentes personnes de bien communiquer ensembles. Daprès toutes les expériences quil a fait, plus de communication était toujours corrélé avec de meilleures performances.
Dans lexpérience qui suit, on a esaayé de rajouter à lenvironnement virtuel, le MOO, un outil supplémentaire qui se présente sous la forme dune sorte de bloc-notes informatique, qui est attenant au MOO, mais qui est complètement indépendant de celui-ci. On espère quil savèrera être une aide pour les sujets qui doivent résoudre une énigme en commun.
Le but de cette expérience est de voir comment se passe la collaboration médiatisée par un ordinateur. On cherche à étudier comment deux individus construisent une compréhension commune dun problème quils ont à résoudre ensemble, et surtout dans quelle mesure le whiteboard apporte un atout supplémentaire à lélaboration dune compréhension commune dun problème...
Il sera plus long de construire une bonne connaissance commune du problème à résoudre si les sujets nont pas la possibilité de stocker en commun les informations quils ont déjà collectées. A linverse, la collaboration des deux sujets sera facilitée sils peuvent stocker les informations déjà obtenues au même endroit, car chacun des deux pouvait noter au fur et à mesure les déclarations des différents suspects et les organiser comme il le voulait, sachant que le partenaire en aavait connaissance à partir du moment où il le notait dans le whiteboard.
Il sera plus facile de résoudre le problème conjointement si les deux sujets peuvent communiquer entres eux à laide de deux médias différents (qui ne font pas double-emploi lun avec lautre).
Si deux sujets nont pas sous les yeux de stockage dinformations en commun, il est probable quils auront plus tendance à reposer plusieurs fois les mêmes questions, car les stockages personnels seront certainement moins complets... De même, on peut penser que chaque sujet aura tendance à reposer souvent les mêmes questions que son partenaire aux différents suspects.
Les sujets auront tendance à moins utiliser leurs whiteboards, car celui-ci nayant plus sa fonctionnalité de communication, il ne devient rien de plus quune sorte de bloc-notes, najoutant rien au bloc-notes papier, et qui ne demande pas une organisation compréhensible par plusieurs personnes.
Dans son état final, le whiteboard sera donc sans aucun doute moins complet et moins structuré que celui des paires qui lutilisaient communément, car les partenaires nauront pas eu autant le temps de le structurer que ceux qui le faisaient conjointement.
Pour certains sujets, il sagissait du premier contact avec un environnement du type MOO, alors que dautres y étaient déjà habitués. Cela-dit, il ne sagissait pas dune variable contrôlée au départ. Par conséquent, la répartition des novices et de expérimentés au sein des paires sest fait complètement au hasard. Cette répartition sest faite comme suit:
Paire n° 1: - Hercule: Première contact avec le MOO ; déjà eu quelquefois affaire aux IRC.
- Sherlock: déjà habitué habitué au MOO. A déjà eu plusieurs fois loccasion de shabituer à cet environnement.
Paire n° 2: Pour Hercule comme pour Sherlock, il sagissait du premier contact avec le MOO. Cependant, tous les deux avaient une grande habitude des réseaux de communication en direct dInternet, suffisamment pour quon puisse les considérer comme expérimentés dans un environnement comme le MOO...
Paire n° 3: - Hercule: très expérimenté sur le MOO (a depuis longtemps sa propre pièce et une bonne habitude de la construction sur le MOO).
- Sherlock: Premier contact avec le MOO.
Paire n° 4: Pour les deux enquêteurs, il sagit dune première expérience dans les environnements virtuels.
Paire n° 5: Les deux enquêteus ont déjà un peu lhabitude des chat, mais cétait pour eux la première fois quils avaient affaire au MOO.
Présence dun whiteboard qui est soit commun (expérience déjà faite antérieurement), soit personnel (expérience présentée ici).
Temps de lexpérience.
Réussite / Échec à la résolution de lénigme.
Nombre de questions redondantes posées par chaque sujet aux différents suspects quils peuvent interroger.
Nombre de questions redondantes posées par le même sujet aux différents suspects.
Étude de la composition des interactions par la classification dans différentes catégories de chaque interaction de lexpérience (Faits / Inférences / Management / Méta-communication / Technique / Hors-tâche)
Étude de la composition des réponses (aknowledgments) et de leur classification dans les cinq différentes catégories ci-dessus.
Étude du nombre dactions effectuées sur le whiteboard par chacune des paires (seulement lorsque cétait possible: en effet, deux des 10 sujets ont effacé par erreur leur whiteboard avant la fin de lexpérience et deux se sont servis dun papier au lieu dutiliser le whiteboard de lordinateur). Les résultats concernant la composition du whiteboard seront donc purement indicatifs.
Le codage des interactions sest fait en cinq catégories, auxquelles sajoute une catégorie supplémentaire qui regroupe toutes les interactions qui navaient rien à voir avec lexpérience. Pour plus de clarté, cette dernière catégorie ne sera pas représentée dans les graphiques qui suivront.
Ces cinq catégories sont:
Faits -> à chaque fois que les deux partenaires se transmettaient des réponses données par les suspects, sans leur ajouter quoi que ce soit en terme dhypothèse.
Inférences -> lorsque linteraction contenait une quelconque interprétation par le sujet, ou une hypothèse quand à la solution de lénigme.
Ces deux premières catégories forment le niveau de savoir dans le processus de résolution du problème. Lorsque, dans la même interaction, se trouvaient à la fois une inférence et un fait, linteraction a été codifiée comme une inférence.
Management ->toutes les interactions qui avaient un rapport avec lorganisation de lenquête, ou encore de la stratégie à utiliser pour mener à bien lenquête (ex: par où va-t-on commencer ?, il faut se voir pour faire le point, As-tu déjà interrogé tel ou tel suspect ?...)
Méta-Communication -> tout ce qui concerne linteraction entre les deux partenaire elle-même: problèmes de mauvaises compréhension, impatience lors de délai de réponse trop long, ambiguïté à lever...
Technique -> Dans cette catégorie sont regroupées toutes les interactions ayant trait à des problèmes dutilisation du MOO ou du whiteboard.
Il paraissait en effet très important de pouvoir comparer qualitativement et quantitativement le contenu des interactions transmises par lintermédiaire du MOO aux partenaires. Létude des discours et des activités des sujets lorsquils sont en train de résoudre le problème permet en effet de mieux comprendre comment les interactions sociales affectent le cours de lapprentissage. (J. Roschelle & S. D. Teasley, 1995)
5 paires détudiants de différentes facultés (Psychologie, Médecine, Pharmacie, Sciences...)
Le temps dexpérience sera plus long pour les sujets qui ne disposent pas de whiteboard commun, dans la mesure où les sujets seront obligés décrire tout ce quils trouvent à la fois à leur partenaire et sur le whiteboard (personnel), au lieu de navoir à lécrire quune seule fois sur un whiteboard commun.
sans la possibilité dutiliser un whiteboard commun, il y aura un nombre plus élevé de questions redondantes, car les deux sujets nauront pas sous les yeux de stockage dinformations commun.
Les sujets auront tendance à moins organiser, et, en général, à moins utiliser leurs whiteboards, car ceux-ci nayant plus de fonctionnalité de communication, il ne deviennent rien de plus quune sorte de pense-bête, mais qui ne demande pas une organisation compréhensible par plusieurs personnes.
Les informations sur les suspects ne pouvant plus être transmises (en même temps que stockés) par lintermédiaire du whiteboard, les sujets seront obligés de tout envoyer par lintermédiaire du MOO.
La proportion de faits dans les interactions sur le MOO devra donc être plus importante pour ces sujets.
Deux sujets, dans deux pièces différentes doivent résoudre conjointement une énigme avec pour seul média de communication leurs deux ordinateurs.
Lénigme à résoudre est un meurtre commis dans une auberge:
Avant le début de lexpérience, on donne à chacun des deux enquêteurs (qui deviennent, pour le temps de la résolution de lénigme, Hercule et Sherlock) un plan de lauberge avec les noms de chaque suspect et les lieux où lon peut les trouver. On leur donne également une liste des commandes quils peuvent utiliser dans lenvironnement virtuel (page, say, look, move, who* etc...) avec les explications quant à leur signification, ainsi que la liste des questions-types quils peuvent poser aux suspects (ces questions ont toujours la forme: ask quelquun about quelque chose ), car les suspects sont des robots et ils ne peuvent répondre quà un certain nombre de questions prédéfinies.
[ * Toute les verbes du MOO ainsi que les réponses des suspects étaient en anglais ce qui pouvait constituer un handicap pour certains sujets. Cependant, les mots utilisés étaient assez simples, et si quelquun ne comprenait pas un mot, il pouvait à tout moment appeler un des expérimentateur (via lenvironnement virtuel) pour lui demander ce quil signifiait. ]
Les deux partenaires ont donc pour mission de trouver le meurtrier parmi les différents suspects qui se trouvent dans lauberge. Ils peuvent pour cela explorer chaque pièce, éventuellement regarder certains objets de plus près, et bien sûr interroger chacune des 11 personnes qui se trouvent dans les différentes pièces par le biais des questions-type .
Ils ne peuvent se communiquer les informations quils trouvent que par lintermédiaire de lenvironnement virtuel dans lequel ils se trouvent, et ont la possibilité de stocker ce quils savent déjà sur un whiteboard, sorte de bloc-notes qui laisse au sujet la possibilité décrire, de dessiner, de passer certaines choses en couleur etc. Dans lexpérience présentée ici, ce whiteboard est personnel: ce quécrit lun ne peut être vu par lautre et vice-versa.
Lexpérience se termine lorsque les deux sujets ont trouvé le meurtrier, cest-à-dire la personne qui avait (1) un mobile pour tuer la victime, (2) la possibilité davoir accès à larme et (3) aucun alibi à lheure présumée du crime.
Cette tâche a été choisie pour son aspect ludique tout autant que pour les capacités cognitives quelles fait entrer en compte. Selon Tim OShea (1983), une tâche de résolution de problème est lune des activités dapprentissage les plus complexes.
De plus, le travail collaboratif entre deux paires procure un environnement particulièrement riche pour étudier lapprentissage.
Les études qui ont déjà été faites sur la collaboration entre individus ont montré que pour que la collaboration soit efficace, il fallait un assez bon degré dengagement mutuel, une prise de décision partagée, et enfin une discussion entre les partenaires. La situation de résolution dénigme policière semblait tout à fait adaptée, car cest une situation qui permet de soutenir la motivation des sujets tout au long de lexpérience (qui était quand même relativement longue).
Parmi les 5 paires de sujets qui navaient pas de whiteboard commun, trois ont trouvé la solution de lénigme (à savoir que Oscar Saleve était le meurtrier, car il était le seul à répondre à la fois au trois critères précédents). Pour les deux autres paires, lexpérience a été stoppée après environ 3 heures, car les sujets nous paraissaient encore vraiment loin de la solution.
Lexpérience a duré en moyenne, avec ces 5 paires, 2 heures 1/2 (en moyenne 2 h 09 pour les trois paires qui ont trouvé la solution), ce qui est légèrement plus long que pour les paires qui ont passé lexpérience avec le whiteboard commun. On ne remarque pas de différences notoires entre les sujets novices et les sujets déjà habitués à un environnement de type MOO, si ce nest pour la paire n°2, qui était composée de deux sujets expérimentés et qui a réussi à résoudre lénigme en un temps record pour le groupe: 1 h 35...
Les sujets qui navaient pas de whiteboard commun se sont communiqués en moyenne 1,52 messages par minute, ce qui est nettement plus élevé (près du triple !) que le nombre de messages par minutes que se transmettaient les paires qui disposaient dun whiteboard commun (qui était en moyenne de 0.56 messages / minutes).
Contrairement aux attentes, il ne semble pas y avoir eu de réelle corrélation entre le fait dêtre expérimentés sur le MOO et le taux de communication durant lexpérience (on voit dailleurs avec le graphique ci-dessus que ce ne sont pas les paires dexpérimentés qui ont fait le plus grand nombre de messages par minute).
Il ne semble pas non plus y avoir eu de corrélation avec le degré de symétrie dans les acknowledgments à lintérieur des paires. Par exemple, la paire n° 4, qui présente une asymétrie de 1 % na pas réussi à résoudre lénigme, alors que la paire n° 3, qui présente une asymétrie de 31,7 % a réussi... Inversement, la paire n° 5 présente une asymétrie de 9,2 % et a réussi la tâche, alors que la paire n° 4 présente une asymétrie de 17,5 % mais na pas réussi.
Les erreurs de sensibilité à lespace dans lenvironnement virtuel (cest-à-dire le pourcentage de page et de say utilisés à bon escient, selon si le sujet se trouvait ou non dans la même pièce que son partenaire) sont distribuées de manière fortement asymétriques. Les sujets qui avaient déjà une bonne habitude du MOO ou des chat ont, comme on pouvait facilement le prévoir, utilisé de manière beaucoup plus appropriée que les novices les différents verbes à disposition sur le MOO.
Par exemple, la paire n°2, qui était composée de deux personnes ayant une grande habitude des Chat dInternet (mais pour qui il sagissait du premier contact avec le MOO) nont fait quasiment aucune erreur : 1 erreur pour Hercule, 6 erreurs pour Sherlock (soit une sensibilité à lespace de 95,4 %). Quant à la paire n° 5, qui était composée de 2 sujets plus ou moins habitués à la communications au travers des environnements virtuels obtient un taux de sensibilité à lespace de 83,9 %, avec seulement 21 erreurs sur lensemble des interactions.
A linverse, la paire n°4, qui nétait composée que de novices, obtient le taux de sensibilité à lespace le plus faible (68,9 %).
Les deux autres paires étaient composés dun sujet plutôt novice et dun sujet plus ou moins expérimenté.
Il est cependant intéressant de remarquer que le sujet qui était pourtant le plus habitué au MOO (parmi les 10 sujets testés) a fait 42 erreurs de page utilisés à la place de say et vice-versa. De même, dans la paire n°1, le sujet qui était le plus habitué des deux à lenvironnement du MOO est celui qui a fait le plus grand nombre derreurs (78), mais ceci est explicable par le fait quil na jamais utilisé la commande say de toute lexpérience (soit parce quil ne sen souvenait pas, soit parce quil trouvait plus simple de toujours utiliser la même commande).
On peut dores et déjà noter que la plupart des interactions ont eu lieu lorsque les deux partenaires ne se trouvaient pas dans la même pièce.
En observant le tableau ci-dessous, il est dailleurs assez surprenant de constater que le taux dacknowledgment pendant la coprésence a été en moyenne plus bas que le taux dacknowledgment lorsque les deux sujets ne se trouvaient pas dans la même pièce !
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Ack. dans la même pièce |
Ack. pas dans la même pièce |
Ack. sans coprésence |
Ack pendant coprésence |
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Le taux dacknowledgment moyen pour les paires qui ont passé lexpérience sans whiteboard commun est nettement plus élevé que pour les paires qui lavaient. La moyenne est en effet de 46 % sans whiteboard commun, versus 41 % avec. (les résultats séchelonnent entre 42,4 % et 49,3 %, alors que dans lexpérience avec whiteboard commun, ces résultats séchelonnaient entre 28 et 51 %...)
Si on compare les paires qui ont le plus faible taux dacknowledgment (Paire n°3 et 4) avec celles qui ont le plus fort taux dacknowledgment (Paire n°1, 2 et 5), on ne remarque pas vraiment de corrélation avec le fait quelles aient ou non réussi à résoudre lénigme, ni avec le temps qui a été nécessaire à cette résolution.
Il y a eu en générale une symétrie dans les acknowledgments globalement moins bonne avec les paires qui navaient pas le whiteboard commun (en moyenne 15,23 % de différence, contre 8 % avec le whiteboard commun).
Les graphiques suivants montrent de quelle manière sont réparties les interactions dans les différentes catégories:
Ceux qui navaient pas de whiteboard commun se sont transmis beaucoup plus de faits via le MOO que ceux qui passaient lexpérience avec le whiteboard commun (28 % de Faits, soit exactement le double du taux de faits transmis durant lexpérience avec whiteboard commun).
Cette augmentation du taux de faits transmis via le MOO sest faite au détriment de toutes les autres catégories, dans des proportions comparables.
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Les taux dacknowledgment sont, toutes catégories confondues, nettement plus élevés dans lexpérience où les sujets navaient pas de whiteboard commun (+ 13 % en moyenne). La différence la plus notoire est dans le taux dacknowledgment pour la catégorie faits, qui est de 25 % supérieur à celui des sujets avec whiteboard commun. Comme pour le contenu des interactions, on remarque que les faits ont pris une part beaucoup plus importante des dialogues sur le MOO dans cette expérience que dans celle où les sujets pouvaient aussi se communiquer des informations via le whiteboard.
Le taux dacknowledgment pour les inférences est lui aussi plus important pour les sujets qui ne disposaient pas du whiteboard commun, mais dans des proportions moins spectaculaires...
Laugmentation du taux dacknowledgment concernant la catégorie technique (+ 27 %) est probablement explicable par une plus grande quantité de problèmes techniques survenus sur le MOO durant ces expériences... En effet, plusieurs fois, les sujets ont effacé par inadvertance leur whiteboard, ou bien sont sortis de lauberge, narrivant plus à y retourner.
Le seul taux dacknowledgment qui est supérieur pour les sujets qui avaient le whiteboard commun est celui de la catégorie Communication (il est de 6 % supérieur à celui des paires qui navaient pas de whiteboard commun).
La self-redondance (lorsque le sujet interroge de nouveau un suspect sur un point sur lequel il la déjà interrogé), qui était en moyenne de 3,94 questions par expérience avec le whiteboard commun, passe à une moyenne de 21 questions redondantes par expérience !
Quant à la cross-redondance (lorsque le sujet interroge de nouveau un suspect sur un point sur lequel son partenaire la déjà interrogé), elle était de 8,22 en moyenne par expérience avec le whiteboard commun, mais passe à 22,6 lorsque le whiteboard devient personnel... Dans cette expérience sans whiteboard commun, on constate que sur lensemble des questions quont posés les deux sujets durant chaque expérience, en moyenne 44,5 % étaient des questions redondantes !
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Le fait que les sujets aient réussi à résoudre lénigme ne semble avoir de rapport ni avec le fait quils soient novices / expérimentés dans le MOO, ni avec le nombre dinteractions durant lexpérience. En effet, même si la paire qui a fait le moins de messages par minute na pas réussi à résoudre lénigme et si celle qui a eu le plus dinteraction par minute la réussi, on peut constater que cela ne se vérifie pas du tout pour les trois autres paires...
Il ne semble pas non plus quil y ait un rapport avec le degré de symétrie dans les acknowledgments.
Létude de la sensibilité à lespace dans lenvironnement virtuel na globalement pas donné de résultats surprenants: les novices se trompent effectivement plus souvent entre les say et les page que les sujets qui ont déjà lhabitude soit du MOO, soit dautre genre denvironnement virtuel de même type.
Pour les sujets qui étaient tout à fait habitué à lenvironnement du MOO, mais qui ont néanmoins fait un grand nombre derreur de sensibilité à lespace, on peut supposer que cela est dû à lutilisation du raccourci-clavier (apostrophe) qui permettait de renvoyer un page à la dernière personne. Comme, pour une fois, il ny avait que deux personnes dans lenvironnement virtuel et quil ny avait par conséquent pas de possibilité de se tromper, on peut imaginer que certains sujets ont trouvé plus simple dutiliser toujours le même raccourci-clavier, plutôt que dalterner entre (apostrophe) et (guillemet, pour say). Il est donc assez probable que ces erreurs soient plus imputables à la peur de perdre du temps inutilement quà un problème lié à la sensibilité à lespace.
Il est dailleurs important de rappeler que, dans cette expérience, la commande join du MOO ne fonctionnait pas. Les sujets devaient donc taper en premier lieu who pour savoir où se trouvait leur partenaire, et ensuite se déplacer à travers les pièces grâce à la commande walk to. Or, dans une expérience où le temps est compté, il devient rapidement laborieux de taper who à chaque fois quon veut savoir où est son partenaire pour le rejoindre et lui parler.
On a pu voir quil y avait, pour ces paires qui navaient pas de whiteboard commun, nettement plus dinteractions lorsque les sujets nétaient pas dans la même pièce que lorsquil létaient (plus du double des interactions ont eu lieu lorsquil ny avait pas de coprésence).
On peut supposer que si la commande join avait fonctionné, les enquêteurs se seraient peut-être plus souvent retrouvés pour parler dans la même pièce.
Cependant, pour les paires qui ont fait beaucoup derreurs de sensibilité à lespace ou pour le sujet de la paire n° 1 qui na jamais utilisé le say, on peut se demander quel aurait été le réel intérêt à se retrouver dans la même pièce... Si ce nest éventuellement pour venir voir un indice que le partenaire avait sous les yeux ou entendre ce que disait un suspect à cet endroit.
En moyenne, le taux dacknowledgment pour les paires qui avaient passé lexpérience sans whiteboard commun sest avéré nettement supérieur à celui des autres paires. Cela peut sexpliquer par le fait quils devaient ressentir plus souvent la nécessité de bien montrer à leur partenaire où ils en étaient de leurs propres investigations et de leurs notes.
Pour ceux qui avaient un whiteboard commun, le simple fait de rajouter une information sur le whiteboard suffisait pour avoir la certitude que lautre voyait bien linformation; inutile donc de lui dire quelque chose du type je viens de rajouter une information sur le whiteboard. Par contre, pour ceux qui navaient pas le whiteboard commun, il pouvait savérer important de bien dire à son partenaire que linformation ne lui avait pas échappé.
Dans lexpérience où le whiteboard était commun, celui-ci avait, en plus de sa fonction daide-mémoire, une fonction de communication. Par conséquent, le fait de se transmettre des informations par lintermédiaire le MOO faisait complètement double emploi avec lutilisation de celui-ci, et il était plus efficace pour les sujets de se transmettre peu de faits sur le MOO, préférant intégrer ceux-ci directement dans le whiteboard.
Dans la seconde partie de cette expérience, le whiteboard a complètement perdu sa fonction de communication, et ne sert à rien dautre quà être un bloc note personnel. Il était donc assez prévisible que les faits glanés par les deux enquêteurs soient transférés via le seul moyen de communication entre eux: le MOO.
25:55 | 8 | S | *say* | H | F | hans etait au bar de 8 a 9 avec helmut |
26:19 | 8 | S | *say* | H | F | helmut la comfirme |
26:27 | 8 | H | *say* | S | F | cest qui Helmut, le colonel? |
26:31 | 8 | S | *say* | H | F | oui |
26:45 | 8 | S | *say* | H | F | et lucie a ete avec heidi en ville |
Par exemple, le contenu des interactions ci-dessus est typiquement le genre de chose que les sujets qui avaient un whiteboard commun navaient pas à se transmettre. Mais en labsence de whiteboard commun, le nombre daction à exécuter pour les deux partenaires était beaucoup plus élevé. En effet, au lieu davoir à effectuer une seule action (écrire linformation Hans était au bar de 8 à 9 avec Heidi, et Lucie était avec Heidi en ville sur le whiteboard), ils doivent en effectuer trois:
1. Sherlock doit écrire dans son whiteboard cette information, puis 2. il doit la transmettre à Hercule, et enfin 3. Hercule doit lui aussi écrire linformation sur son propre whiteboard. Il nest donc pas très étonnant que les sujets se soient servis de manière bien moins efficace de leur whiteboard personnels que ceux qui avaient un whiteboard commun. On peut imaginer que, rapidement, les deux sujets ont trouvé lensemble de ces opérations trop fastidieuses et ont omis de tout marquer méthodiquement dans le whiteboard, comme le faisaient ceux qui se partageaient cette tâche.
On peut imputer la nette baisse du taux de méta-communication au fait que, dans lexpérience avec whiteboard commun, la plupart des interactions de cette catégorie avait trait à des questions dorganisation du whiteboard, ou de non-compréhension de quelque chose déjà écrit sur celui-ci.
Ici, les seules fois où les sujets ont parlé de leur whiteboard, cétait pour communiquer à leur partenaire quils venaient deffacer celui-ci par mégarde, et quil nétait donc plus daucune utilité... Les seules interactions ayant trait à la communication avaient plutôt à voir avec des mauvaises coordinations ou à des mauvaises compréhensions, comme dans lexemple ci-dessous.
45:01 | 3 | S | *page* | H | C | attention, on ne parle pas du meme mari. |
45:16 | Bar | H | *page* | S | C | tu parle duquel? |
45:46 | 3 | S | *page* | H | C | je parle de oscar. mais peut-etre est-il le frere de marie?! |
46:09 | 7 | H | *page* | S | C | ah moi je parle du mari de la morte |
Concernant la comparaison du nombre de messages par minute entre les expérience avec ou sans whiteboard commun, on a vu dans les résultats que ceux qui navaient pas à stocker leur informations ensembles ont envoyé plus du double de messages par minute que les autres paires.
Cela est certainement imputable au fait que les paires qui avaient un whiteboard commun ont passé plus de temps sur celui-ci, à lorganiser, à le présenter de manière claire, alors que ceux qui disposaient dun whiteboard personnel ont inscrit les informations de manière plus rapide, et avaient par conséquent plus de temps à consacrer aux dialogues avec leur partenaire.
On peut aussi faire lhypothèse, lorsquon fait le rapprochement avec le taux dacknowledgment. beaucoup plus important chez les paires qui navaient pas de whiteboard commun, quil y a eu un plus grand nombre de messages de courte taille qui venaient en réponse à des faits transmis par le partenaires.
Pour les sujets qui ne disposaient que dun whiteboard personnel, le taux de Faits à lintérieur des acknowledgments est quasiment le double du taux obtenus par les sujets qui avaient le whiteboard commun.
Il paraissait pourtant assez normal davoir un taux dacknowledgment dans la catégorie des faits nettement plus faible que celui des autres catégories, car les faits ne sont en principe pas vraiment discutables, la probabilité de désaccord à leur sujet est plutôt faible. Par conséquent, il ny a normalement pas autant lieu dy répondre que pour une hypothèse, par exemple. On peut éventuellement supposer quen labsence de stockage commun, les sujets ressentaient surtout la nécessité de dire des choses du type merci, je le note... ou encore je le savais déjà... pour bien montrer à leur partenaire où ils en étaient de leur propre stockage dinformations.
Seul le taux dacknowledgment concernant la méta-communication sest révélé plus élevé pour les sujets qui disposaient dun whiteboard commun. Cela rejoint le fait que la plupart des interactions de cette catégorie avait un rapport avec lorganisation du whiteboard commun, et quil y avait probablement plus de propositions nécessitant laccord ou le désaccord du partenaire en ce qui concerne lorganisation commune du whiteboard.
La comparaison du nombre de questions redondantes entre lexpérience avec whiteboard commun et celle sans whiteboard commun révèle de manière excessivement nette que les sujets qui navaient pas la possibilité de stocker leurs informations en commun ont a priori moins bien stockés leurs informations individuellement que ceux qui devaient le faire conjointement. Il est probablement nettement plus difficile davoir une vue densemble vraiment structurée lorsque chacun stocke ses informations individuellement, tout en les transmettant à son partenaire au fur et à mesure. En effet, en les transmettant à son partenaire et en les écrivant dans son propre whiteboard au même moment, lenquêteur perd un certain temps, ce qui laisse à supposer que noter toutes les informations de manière claire dans son whiteboard devient vite une entrave, et quil se met rapidement à écrire les choses de manière plus succinctes dessus.
En découle un nombre de questions redondantes très nettement supérieur à celui des sujets de lexpérience avec whiteboard commun, quil sagisse de questions posées par le partenaires ou de questions déjà posées par le sujet lui-même. La différence est suffisamment nette pour que lon puisse établir une corrélation entre labsence de stockage en commun des informations et le nombre de questions déjà posées que les sujets reposent à nouveau (parfois à plusieurs reprises).
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